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Lettres à France

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Message  HannibalaTor Sam 26 Jan - 17:29

Avertissement (disclaimer pour les anglophones) : il y a des gros mots ! Je sais, c’est mal. Et des propos pouvant heurter les âmes sensibles.
Mais que voulez-vous, ce sont les écrits d’un pauvre garçon torturé, au bout du monde, ou presque.


Gatineau, Province de l’Outaouais, 15 Mars 2012.

Je ne sais même pas comment commencer ce mail…
Comment dois-je t’appeler ? « Mon amour » ? « Ma chérie » ? « Connasse qui a pourrit ma vie » ? « Chère Madame » ?

Allez, après tout, puisque tu t’appelles comme ça…

France,

J’ai essayé de t’écrire il y a quelques semaines. J’y suis même arrivé ; mais tu as vraisemblablement supprimé ce compte mail. Je sais maintenant que j’écris dans le vide, mais de toute façon, après tout ce temps, et tout ce qui s’est passé, et pire, tout ce qui ne s’est plus passé, n’ai-je donc pas que le vide comme éventuel correspondant ?
« Return to sender, address unknown » m’a dit le facteur Internet.

Toi et moi, c’est rentré dans les archives des histoires gâchées il y a plus d’un an.
C’est vrai, j’étais… je suis un jaloux compulsif. Y a des tas de choses que je ne supportais pas, ou plus.
C’est vrai, le mec avec lequel je t’ai vue un soir, il a mouché rouge pendant 15 jours parce que j’ai pété les plombs et lui ai mis un gros, un très gros bourre-pif. Il n’avait qu’à pas me regarder avec sa tête de merdeux.
C’est vrai, tu m’as juré que c’était juste un copain. Moi je suis méfiant, j’ai fait de la prévention.
C’est vrai, je suis tendu comme mec. Mais toi, je ne t’ai jamais cognée. C’est pas l’envie qui m’en manquait parfois, mais c’était la porte qui mangeait. J’avais trop vu ce que ça faisait, cette violence sur les femmes, dans mon job. Je n’avais pas envie de faire subir ça. Oui, la violence est un démon, j’en conviens. Mais moi je le regardais en face ce démon.

Et puis tu es partie, après une scène de trop, comme tu m’as dit. Moi je n’y croyais pas, je pensais que tu allais revenir, parce que ça n’était pas possible que ça finisse. Lorsque je suis rentré du boulot le soir et que j’ai vu que tu avais vidé notre appartement de tes affaires, j’ai compris que j’avais du aller trop loin.
Voilà, j’avais bien compris la leçon. Mais toi, ça ne t’a pas suffit. Tu as quitté la ville, notre ville, Cannes, et tu t’es barrée à Montpellier, ai-je appris par la suite, sans laisser d’adresse à qui que ce soit ici. Aucun de nos foutus amis n’a été capable de me dire où tu étais.
J’ai appelé tes parents, ils m’ont raccroché au nez. Je les ai rappelés, j’ai tout fait, tout tenté, j’ai pleuré comme un gamin. Ils ont finit par changer de numéro de téléphone. Ils n’habiteraient pas si loin, j’aurais fait le siège devant chez eux et les aurais attachés sur une chaise en leur diffusant du Derrick jusqu’à ce qu’ils me disent où tu te caches. Malheureusement, ils habitent en Floride, comme deux vieux cons de retraités qu’ils sont, et en plus je suis sûr qu’ils regardent Derrick par plaisir.

Depuis, j’ai tout fait. J’étouffais, aussi. Moi aussi j’ai finit par la quitter cette ville, notre ville. Pour aboutir ici, au Canada, patrie des caribous, à « Gatineau », dans la charmante Province de l’Outaouais. Tout un programme. Moi qui disais souvent que je n’irai jamais dans un pays où il fait froid…
Au début, j’ai voulu rester à Cannes. Enfin voulu… Disons que j’y suis resté, sans vraiment savoir ce que je voulais, à part ton retour.
Pendant quelque temps, j’ai continué à voir nos amis communs. Mais quelle bande de cons, certains d’entre eux…
Les pires ? Jeannot et Virginie. Déjà quand nous étions ensemble, ils me gonflaient souvent, surtout lui… Mais après, c’était pire. Parce qu’en plus d’être un gros crétin, il me faisait la leçon. Tiens, ça va te faire rire. Enfin pas vraiment vu que tu ne liras pas ce mail, mais tu sais que j’ai toujours eu de l’imagination. Puis tu as beau être la pire des garces, j’étais accroc à ton rire, alors j’aime bien l’idée de pouvoir t’entendre encore rire. Enfin voilà, cet abruti consanguin m’a donné le remède miracle : « oublie-la ». Je te jure, je me serais cru dans le sketch de Frank Dubosc. Tu sais, dans son spectacle « Romantique », il y a exactement cette réplique. J’ai eu deux envies quand l’autre niais intersidéral m’a dit de t’oublier : lui coller une beigne, et lui dire « Ben oui, j’suis con ! J’y avais pas pensé ». En fait j’aurais du faire les deux. Je lui ai juste dit qu’il était con, et qu’il ferait mieux de s’occuper de sa Virginie.
J’ai été vengé : il n’a pas suivi mon sage conseil, et elle s’est barrée. J’ai appris ça par Dave, le seul de la bande avec lequel je sois resté en contact. D’abord parce que c’est le seul à avoir compris que ton départ m’avait anéanti, et le seul à m’avoir simplement pris dans ses bras, pour que je pleure comme un gamin qui a perdu sa peluche fétiche. Il m’a même accueilli 15 jours chez lui. Un vrai pote, ce mec.
Il parait qu’il fait une belle déprime depuis, l’autre abruti de Jeannot. J’ai eu super envie d’envoyer un mail pour lui dire « oublie-la ». Mais finalement j’y ai renoncé. Pas que je sois devenu compatissant, mais de toute façon il est aussi poisson rouge que con, il aurait oublié qu’il m’avait dit ça quelques mois plus tôt.

Malgré le soutien de Dave, je n’ai pas tenu le coup, à Cannes. J’ai fini par me barrer de là-bas. J’ai vendu tous nos meubles, parce que c’était les nôtres, et que nous, c’était parti à la poubelle. Je ne suis resté en contact qu’avec Dave. Parfois je me dis que si j’étais resté là-bas, nous aurions fini par devenir un gentil petit couple, parce que lui aussi il en a bavé en son temps. Rien de sexuel, juste un couple de potes. Puis nous serions devenus vieux et aigris ensemble. Tu vois, presque comme un vrai couple, enfin comme tes parents quoi.
Ouais, je ne peux toujours pas les blairer. Tu penses bien, maintenant que nous ne sommes plus ensemble, je m’en donne à cœur joie. Tiens, spéciale dédicace pour eux : je vous emmerde.
J’ai réuni mes caleçons, mes jeans, mes chaussettes, mes t-shirt et mon désespoir, puis pris un charter pour emmener tout ce petit monde ici, à presque 6,000 bornes.
Je le savais bien que j’emmènerai mes problèmes avec moi, puisqu’ils étaient en moi et dans mes valises. Mais j’avais besoin de partir. Loin. J’ai aussi raclé mon PEL et vidé mon compte (qui était déjà bien vide, remarque), parce qu’à priori nous n’achèterons pas notre « petit nid d’amour » à Cannes, ni ailleurs.
15,000 euros en poche, français courant, air dynamique, je suis le parfait immigrant pour le Canada francophone. En plus j’ai tout bien préparé, j’ai fait ma demande et les gentils cousins tabernacle ils ont bien voulu de moi ! 6 mois de préparation pour obtenir le droit/statut « Expérience internationale Canada ». A 28 ans, j’en ai encore le droit. J’ai bien vérifié, le nom suspect de ce programme ne veut pas dire que je serai débité en rondelles, ni cloné. Remarque, ça aurait été le cas, ça aurait été marrant que je m’appelle Georges.
L’entretien que j’ai eu en France avec une Canadienne m’a laissé une impression mitigée, entre « Voyage dans le 4ième dimension » et « Surprise sur prise ».
Les questions étaient surréalistes… Genre « Voulez-vous aller au Canada en qualité d’ecclésiastique, d’artiste de rue, de militaire ? », tout ça avec l’accent de Céline Dion. Après, j’ai vaguement compris que ces métiers là te permettaient d’aller bosser plus facilement au Canada. Si j’avais été malin, j’y serais allé en tenue d’aumônier militaire, avec une guitare dans le dos, puis j’aurais dit que j’étais aumônier militaire / troubadour / chanteur de rue. Et jongleur.
Enfin bref, après ce qui m’a semblé être un parcours du combattant, j’ai obtenu ce truc qui a fait de moi un sujet d’expérience pour sa gracieuse majesté la Feuille d’Érable.
En plus, comme j’avais le pécule nécessaire, j’ai compris que je ne rentrerai que dans la catégorie semi-boulet.

Je suis arrivé ici en Novembre dernier. Pas de bol, j’ai loupé « l’Été Indien ». Et comme on dit, « Indien vaut mieux que tu l’auras ». Ben là j’ai rien eu. Enfin si, un hiver anormalement doux, selon les indigènes. Moi je me suis tout de même caillé le croupion. Mais c’est vrai que je n’ai pas eu droit à la Sibérie. Enfin pas dès le début quoi.
Je me suis installé 15 jours dans un petit hôtel, puis j’ai fini par trouver un appart’ à la con, mais dans un immeuble sympa, dans la périphérie de la ville. C’est bien moins cher que par chez nous, ici, c’est clair. En même temps, avec des hivers comme ça, le discount sur les loyers, c’est pas du luxe. Comme je suis venu avec un petit pécule, j’ai pu prendre mon temps pour en trouver un pas trop mal, tout de même. Bien plus grand que le nôtre, à Cannes.
Et je me suis acheté une bagnole, parce que je n'ai pas envie d'aller en caribou-stop au boulot et au supermarché.

Assez vite, j’ai commencé à écrire des tas de choses sur un carnet. Des trucs super mielleux, qui me filent la gerbe quand je les relis aujourd’hui. Des machins genre « Un océan de larmes nous sépare ». Je m’imaginais déjà en train de faire chialer les ménagères quand je serai célèbre. Pendant un moment, je me suis pris pour un mélange d’Arthur Rimbaud et de Tennesse Williams. Genre poète et écrivain maudit, tu vois. Faut dire que je picolais dur tous les soirs. En plus j’ai emmené ma guitare.
Un soir, j’étais bien bourré, et j’écoutais de la musique sur une web radio française. Il y a « Pas assez de toi » de la Mano qui passait. J’ai choppé ma guitare et me suis mis à massacrer la chanson, tout en faisant une parodie des paroles. Faudra que je te retrouve ça, ça t’était dédié. Je ne suis pas sûr que ça te plaise. En même temps, ça n’était pas fait pour. Connasse.
Ca n’a pas plu non plus à un de mes voisins. Il faut dire aussi qu’il était deux heures du matin. Le pauvre gars a sonné à ma porte et m’a baragouiné un truc du genre « c’est pas bientôt fini ce bruit ». Ben il a mangé. Oh, j’ai fait ça proprement. Je lui ai défoncé le foie avec un coup de poing, il est tombé par terre, je me suis marré, et je lui ai dit que je lui refusais l’entrée pour le concert, en refermant ma porte. Bon, après, j’ai repris mes esprits, enfin vaguement, et j’ai rouvert la porte, l’ai ramassé, trainé dans l’appart’, assis sur le canapé et offert un coup à boire. J’en ai profité pour lui mettre 2 ou 3 baffes, parce que je l’avais trouvé bien discourtois d’interrompre ce super bœuf que j’étais en train de faire avec Manu et ses potes. Bien sûr, c’était officiellement pour l’aider à reprendre ses esprits. En fait, je dois avouer que comme je redevenais vaguement lucide, je serrais les fesses en ayant peur qu’il aille porter plainte. Après à peine un mois de présence au Canada, je me voyais mal avoir une plainte aux susdites fesses. D’un autre côté, j’avais bien pris soin de taper dans le bide, bien mesquinement, sans laisser de trace. Je me suis par ailleurs confondu en excuses, lui ai dit que j’étais bourré (genre ça ne se voyait pas) et miraculeusement, il a passé l’éponge.
Je l’ai tout de même foutu à la porte une heure plus tard, parce qu’il commençait à me parler de sa vie, et que j’en avais rien à cirer, parce que moi j’étais crevé, encore un peu bourré, et que le seul vrai malheureux de l’immeuble, c’était moi.

Maintenant, avec 15,000 euros, je ne peux pas encore être rentier… J’ai du chercher (et mieux encore, trouver !) un job.
Alors, après avoir un brin et gentiment « magouillé » et utilisé quelques contacts donnés par Dave (qui y a séjourné plusieurs mois, il y a quelques années, si tu te souviens bien), j’ai donc trouvé un job dans une boutique de jeans, dans le centre-ville. C’est vrai que c’est assez éloigné de ce que je faisais à Cannes, mais là je suis un immigrant, je ne peux pas trop faire la fine bouche. Et puis en fait, à part la paye misérable, c’est sympa comme job. Le boss est sympa, les clients aussi. En fait tout cela est lamentablement sympathique.
Remarque, ça m’a permis de me faire des amis. Y a plein de gays qui viennent dans cette boutique, et apparemment, ils m’aiment bien. Va savoir pourquoi, ils doivent me trouver « exotique », avec mon « accent de France », comme ils disent avec leur accent à couper au katana. Je ne m’y ferai jamais, je crois, d’ailleurs.
Le mois dernier, je me suis décidé à aller voir un psy. Enfin un type du genre. J’ai pris mes supers poèmes avec moi, parce qu’il fallait absolument que je lui en parle. J’étais à ce moment là convaincu que ça faisait partie de moi, que j’avais eu une révélation cosmique sur la poésie. Tout ça quoi.
Le type qui m’a reçu avait une tête à claque, c’en était monstrueux. Tu vois Woody Allen ? Ben c’était Woody Allen, mais en version psy.
Je lui ai raconté mes malheurs, je lui ai parlé de la garce qui m’avait honteusement quitté, de ce que j’avais auto-médicalement identifié comme étant une dépression, de ma fuite vers son pays glacé, et enfin de ma révélation cosmique – rapport à la poésie qui m’avait électrocuté un soir de pleine lune. Le mec ma écouté, impassible. En fait je crois qu’il n’en avait rien à cirer. Je lui ai alors tendu mon carnet formidable, là où je griffonnais mes super poèmes. Il a à peine regardé. Le con !
Enfin bref… Il n’a pas dit grand-chose, j’ai vidé mon sac. Enfin une partie. Je lu ai lâché un billet et lui ai dit que c’était un crétin qui ne servait à rien.

En Janvier dernier, j’ai eu droit à ma première vraie vague de froid depuis que je suis ici, avec une tempête de neige et tout le toutim.
Dans ces moments là, les Canadiens, contrairement aux marmottes, continuent leurs activités. Par contre, il faut le savoir, la pelle devient ta meilleure amie. Et la couverture chauffante devient la meilleure amie de ta voiture quand tu n’as pas de garage. Sinon il faut demander à un ours de faire pipi sur le moteur pendant 10 minutes. Le résultat est incertain, et l’ours n’est pas super sociable. Moi j’ai acheté une couverture chauffante.
La pelle, c’est pas très marrant. Le seul truc qui me consolait, c’était de voir que nous étions plusieurs à pelleter. En fait, je m’en suis bien rendu compte depuis longtemps, il n’y a guerre que toi qui ne réponde pas à la pelle.
Mon boss m’a confirmé que cet hiver n’avait pas été très vigoureux. Je me méfie souvent de ce genre de phrases. Genre c’est ta première fois dans une activité, tu en baves, et là tu as tous les anciens qui te disent « oh, et c’est peinard aujourd’hui par rapport à d’habitude ». J’ai connu ça à peu près toutes les fois où j’ai eu l’occasion de suivre un premier cours dans un nouveau club de karaté. Ils te la jouent anciens combattants qui ont connu Waterloo, Stalingrad et Diên Biên Phu. Tocards.
Malgré tout, il semblerait que sur ce coup là, mes anti-marmottes indigènes n’aient pas exagéré. Mais enfin Janvier, ça a été pénible. Février aussi.

Avec tout ça, je te dirais bien que je refais ma vie, mais tout ça, c’est du baratin. J’ai transporté ma misère à 6,000 bornes, voilà tout. Le froid hivernal a congelé durant quelques semaines mes larmes et mes neurones, l’alcool les a noyés.

En ce moment, on dirait que nous avons eu un genre de printemps précoce.
La semaine dernière, j’en ai profité pour aller faire un tour à Montréal. Isabelle Boulay y passait en concert, et je me suis dit que ça serait idiot de ne pas en profiter. 160 kilomètres de route, ça valait bien ça. J’ai demandé deux journées « off » à mon boss, et il me les as accordées sans soucis. Il faut dire que quand il m’a demandé de bosser plusieurs dimanches cet hiver, pour l’inventaire, les soldes et tout le toutim, j’ai obtempéré sans broncher. Il a bien apprécié.
Le concert à eu lieu un Jeudi, le jour de la Journée Mondiale de le Femme. Tout un programme.
C’était formidable, et Isabelle est magnifique. J’ai pleuré quand elle a chanté « Le Saule ». Elle me fait penser à toi, mais elle chante pour moi.
« Toutes les bulles de champagne de France
Peuvent éclater là sous mes branches
Sans toi, c'est de l'eau
De l'eau salée, des pleurs
Tu vois, je ne suis pas drôle
Je suis un saule inconsolable »

Moi ce sont les bouteilles de vodka, y a pas de bulle, mais le reste, c’est tellement vrai.
J’ai dormi sur place, dans un petit hôtel, pour ne pas reprendre la route juste après. Enfin « dormi »…
Le Vendredi matin, je suis reparti tranquillement, je n’avais pas à travailler avant le lendemain.

Certains jours, je tente d’être lucide et me demande si dans tout ce malheur, il n’y a pas parfois une espèce de « fascination nostalgique ». Et en fait je crois bien que non. Je n’arrive juste pas à m’y faire. Alors j’écoute « Avec le Temps » de mon vieux copain Léo Ferré. Lui aussi il en avait chié, ce vieux et merveilleux misogyne, c'est-à-dire grand amoureux des femmes, ces damnées succubes qui nous anéantissent quand elles partent. Et c’est là tout notre terrifiant mouvement perpétuel du malheur : nous savons qu’elles nous feront souffrir, et nous ne savons pas nous passer d’elles.

Par contre, Dave m’a appris un truc qui m’a crucifié. Je n’ai pas bien compris comment, mais il a eu des nouvelles de toi, indirectement en tout cas, et m’a appris que tu allais te marier cet été. Avec un notaire… Ca m’a laissé sans voix. J’ai l’impression que tu as fait une espèce de régression, et finalement épousé le modèle parental. Franchement ça me dégoûte de savoir que tu as tourné le dos aussi vite non seulement à notre « histoire », mais aussi à nos idéaux. Un notaire… Punaise…
Du coup j’ai décidé plusieurs trucs. Dorénavant, je vais faire des tas de trucs que tu me demandais de faire et que j’ai toujours refusés. Genre arrêter de fumer. Juste pour te faire chier, tiens ! J’ai arrêté depuis une semaine. Même pas mal.

Après, j’ai regardé ma vie depuis mon arrivée ici. L’heure du bilan ? Il en faut régulièrement, de ces trucs là.
J’ai mis un Océan entre toi et moi. Et alors ?
Depuis que je suis ici, je me mens. On ne fuit pas ce dont on parle tous les jours, pas plus qu’on ne fuit quelque chose en le prenant en référence pour quasiment tous les actes de sa vie. Je ne te fuis pas, je me fuis moi, ou la réalité.
Alors ce soir, je la regarde bien en face, je range ma fierté dans mon placard, et tout ce que je vois, c’est qu’à 6,000 bornes, France me manque, et qu’aucun billet d’avion retour ne pourra changer cela.

Je repense à ma chanson fétiche de mon copain Léo. Je suis tout seul, ça c’est vrai ; mais peinard, certainement pas. Comme lui ne l’était pas.
J’allume une clope, juste pour t’emmerder.

Olivier
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Message  HannibalaTor Sam 26 Jan - 17:31

Gatineau, Province de l’Outaoais, 22 Mars 2012.

France,

Tu vois, je progresse. Je ne me pose plus de question pour savoir comment je dois commencer mes lettres que j’envoie dans le vide.

Je vais te parler un peu de mes voisins. Et te préciser que j’habite au second étage d’un immeuble… qui compte deux étages. Je suis enfin en haut de la hiérarchie, quelque part.
Dave m’avait prévenu ; il m’avait dit que les Canadiens étaient assez accueillants. Il m’avait aussi prévenu en me disant que c’était culturel, donc qu’il ne fallait pas que je pense que ça se passerait comme ça juste parce que je suis un type formidablement avenant.
Et c’est vrai que dès mon arrivée, quasiment tous mes nouveaux voisins ont sonné à ma porte pour me souhaiter la bienvenue. Tu imagines ça à Cannes ?
Je vais te les passer vite fait en revue.

Il y en a un que tu connais déjà un peu, c’est Claude. Celui qui était venu sonner une nuit à ma porte alors que je te dédicaçais un cover de « Pas assez de toi ». Nos relations sont cordiales, c'est-à-dire que nous nous disons « bonjour », quoi. Il n’est pas rancunier comme mec ! J’avoue avoir pris l’habitude de jouer les gros bras quand je le croise, histoire de lui faire comprendre que ce qui s’est produit durant mon concert privé ne devrait pas sortir de l’immeuble. Je l’ai surnommé « Grincheux », parce qu’il est venu couiner cette fameuse nuit. Puis c’est vrai qu’apparemment, c’est le râleur de service dans l’immeuble. Faudra pas qu’il râle trop après moi tout de même. Tu vois, ça ne m’est pas passé, d’attribuer des surnoms à quasiment tout le monde.
Pour en terminer avec mes voisins de l’étage, il y a une jeune femme célibataire, Nathalie. Je l’ai surnommée « La Belle au Bois Dormant », parce qu’elle travaille comme infirmière de nuit, à Gatineau. Enfin je crois qu’elle est célibataire, parce que je n’ai jamais vu de mec entrer ou sortir chez elle. Elle est assez mignonne, même franchement jolie. Oui, je dis aussi ça pour te faire chier.
Au premier étage, il y a Grizzly. Tu t’en doutes, il ne s’appelle pas comme ça. Son vrai prénom c’est François. Mais comme il est gaulé comme un ours, je l’ai surnommé « Grizzly ». Il a l’air sympa, même si il ne parle pas beaucoup. Je suis content que ça ne soit pas lui qui soit venu sonner à ma porte quand Grincheux est venu. Quoi que ça aurait pu être marrant, ça aurait été du sport. Mais à mon avis, j’aurais mangé aussi.
Après, sur le même pallier, il y a un couple – Jean et Virginie – avec 2 enfants. C’est fou ça, je me tape 6,000 kilomètres et je retrouve quasiment un couple « Jeannot et Virginie ». En moins chiant, heureusement. Leurs gosses, ça peut aller, ils sont mignons et plutôt polis.
Puis encore au premier, il y a un autre couple, Jean-François et Céline. Oui, Céline ! Ils sont très sympas, et nous avons mangé ensemble quelques fois depuis mon arrivée ici. Ils aiment bien les français, et m’ont affranchi sur pas mal de trucs. Ils me donnent également des cours de Canadais. C’est comme ça que j’ai appelé le Français parlé par nos cousins du Québec, parce que parfois, ça frise la langue étrangère, rapport à leur accent, et à quelques expressions idiomatiques, souvent très rigolotes, d’ailleurs.
Au rez-de-chaussée, il y a encore un couple. C’est accablant ce qu’il peut y avoir comme couples, ici. Au début, j’ai cru que les Canadiens divorçaient moins que les Français. Mais en fait Jean-François et Céline m’ont dit que non. Bref… Ce couple du premier, ce sont Gérard et Sylviane, des retraités. Ils sont sympas, discrets.
Il y a également une petite mamie toute mignonne sur leur pallier. On dirait un peu la grand-mère de « Titi et Grosminet ». Elle est rigolote, et sors toujours avec un genre de cabas. En fait c’est un mélange de la grand-mère de « Titi et Grosminet » et de « Ma Dalton ». Parfois, je me demande si elle n’a pas un flingue dans son cabas.
Pour finir, ben en fait j’ai fait le tour, parce qu’il n’y a que deux logements au RDC. A cause d’un genre de local commun qui fait vaguement office de buanderie collective. C’est pratique d’ailleurs.

C’est un immeuble tranquille en fait. J’essaie de ne plus jouer de guitare la nuit quand je suis bourré, enfin si je le fais, je le fais doucement. Parce que je fais le fanfaron, mais je me sens merdeux d’avoir mis une peignée à Grincheux. Il fait plus victime de la vie qu’autre chose. Et puis de toute façon, c’est con de cogner juste pour des mots. Bon, ceci n’est pas valable pour les crétins qui reluquent ta copine. Là, la saison de la chasse c’est du 1er Janvier au 1er Janvier suivant.

Maintenant je vais te parler du boulot.
Mon boss s’appelle Jean. C’est un mec sympa, pas patron prise de tête. Heureusement, parce que sinon tu te doutes que ça serait parti en vrille assez vite. Nous sommes 3 dans le magasin : Jean, moi et Patricia. Une fille sympa, sans plus. Pas chiante ; c’est déjà ça.
Au début, je suis rentré comme « Magasinier ». Mais j’ai eu une promo ! Maintenant je suis « Vendeur ». Remarque, ça n’a pas changé grand-chose, je me tape tout de même les cartons quand nous recevons des livraisons, je les déballe, je scanne les articles, puis je les mets en rayon, souvent avec Patricia. Et étrangement, même cette partie là de l’activité, je l’aime bien. J’ai l’impression de recevoir des colis de Noël à chaque fois, et je les ouvre nerveusement. Le seul truc chiant, c’est de vérifier que la livraison corresponde bien à la commande. Mais ça se fait facilement, parce que quand tu scannes las articles, ça rentre dans le stock, et le système est capable de vérifier la différence d’état de stock. Comme ça tu sais ce qu’on t’a livré. Faut juste pas double scanner les articles. Une fois il y a eu un décalage, pas en notre faveur. Je ne te dis pas le savon que Jean a passé au grossiste… Allez si, je te le dis ! Il l’a pourri. Pourtant il est calme comme garçon, mais là apparemment, ça n’était pas la première fois avec ce fournisseur là.
Après, il y a la partie vente. C’est tout de même le truc le plus marrant. Comme je t’ai dit, il y a notamment une communauté gay assez active, et nombre d’entre eux semblent bien m’apprécier. En fait, Jean m’a expliqué pourquoi. Il m’a dit « Bah ouais, tu dois leur faire penser à un bear ». Un « bair » ? C’est quoi ça ? Alors il m’a expliqué le concept. Moi je trouve qu’il exagère. Je ne suis pas très poilu, à part la barbe de 3 jours que j’ai laissé pousser depuis que je suis ici. Après, j’ai du prendre une bonne dizaine de kilogs, à cause de mes mauvaises habitudes alimentaires prises ici. Il faut dire que les fast-foods sont omniprésents dans ce pays. Et que pour bouffer « à la française », ça te coûte la peau du cul. Ca ne fait pas encore de moi un obèse, mais je les sens bien mes 10 kilogs en plus… Alors tu ajoutes mon gabarit habituel, qui n’était déjà pas genre tringle à rideaux, mes dix kilogs en rab' et la chemise à carreaux, et là j’ai un bon look de bûcheron… Ouais, ok, y a comme une vague possibilité de début de similarité… M’enfin faut pas exagérer tout de même, je suis quasiment glabre, sur le torse.
Enfin voilà, au moins j’ai eu une explication.
Je travaille du Lundi au Samedi, avec un jour de repos par semaine, donc.

Sinon, ben ça ne va vraiment mieux sur le front psycho-sentimental. J’ai l’impression que je suis un peu moins « rageux » vis-à-vis de toi, voilà tout. Y a des trucs que je ne digère pas, cela dit, et parfois il m’arrive, lorsque je pense à toi (ça c’est tout le temps en fait), mais plus spécifiquement à des trucs qui m’ont énervé, de lâcher soudainement un juron, comme ça, sorti de nulle part, façon mec atteint du syndrome « Gilles De La Tourette ».
Je passe des mauvaises nuits, et parfois je me réveille en criant « connasse », ou des trucs du genre.
J’en ai parlé à Jean. Il m’a dit qu’il faudrait que j’aille « consulter un professionnel ». Tu sais, le truc qu’on te dit quand on ose pas te dire « Mec, t’es complètement barré, file voir un psy, et vite ».

Côté météo (faut bien que je te parle de sujets pénibles, je te dois bien ça), il semblerait effectivement que nous ayons un printemps précoce. J’ai rangé ma pelle et ma couverture chauffante. J’en suis presque nostalgique, parce que parfois, quand nous étions 3 ou 4 à déneiger sur le parking, je chantais la chanson des nains, dans « Blanche-Neige ». Tu sais, « Hey Ho, on rentre du boulot ». Même grincheux l’a chantée une fois ! Mais c’était encore plus marrant quand il y avait Grizzly. Notre petite chorale s’est donc tue, jusqu’au prochain hiver.

Ah tiens, encore un truc, j’ai fait un énorme progrès : j’ai arrêté d’arrêter de fumer, parce qu’en fait ça m’emmerdait plus que ça ne t’emmerdera toi. Alors ça n’est pas bien d’avoir arrêté d’arrêter, mais ce qui est bien, c’est qu’en fait je tente de cesser de faire les choses en référence à toi.
J’espère que c’est le début de ma guérison…

Tu me manques, connasse.
Je t’embrasse et te dis merde.

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Message  HannibalaTor Sam 26 Jan - 17:31

Gatineau, Province de l’Outaouais, 29 Mars 2012.

France,

J’ai suivi le conseil de Jean. Je suis allé « consulter »…
Je suis même retourné chez « Woody Allen ». J’ai trouvé ça plus pratique, parce que finalement, nous sommes déjà un peu intimes : je l’ai traité de crétin à la fin de ma première séance avec lui.
Si j’y suis retourné, c’est que ça ne va toujours pas, tu te doutes bien. Sinon, j’irais dans les bars draguer des filles. Quoi que je ne suis pas certain que cela ne révèle pas également d’autres genres de névroses. Enfin chacun les siennes. Moi mon problème, c’est que je suis incapable de me défaire de toi, espèce de garce.
Woody m’a reconnu de suite. Je n’ai pas vu ça parce qu’il m’a salué en me disant « Ah, Olivier, ça me fait plaisir de vous revoir ». Non, ça il ne l’a pas fait… C’est plus dans un subtil clignement de ses yeux glauques que j’ai noté ça. Puis un léger mouvement de recul.
J’ai continué à déballer mes malheurs. Lui, comme la dernière fois, il n’a pas dit grand-chose… Je lui ai reparlé des causes de ma rupture, puis de mon incapacité à l’accepter. Tu vois, ça s’est venu tout seul, de moi. Là il a acquiescé de la tête, genre « C’est bien, continue à parler, moi je prends des notes ». Je crois même qu’il a lâché un « oui ». Quoi que ça ressemblait aussi à un genre de grognement. Je ne sais plus trop, en fait.
C’est peinard son job n’empêche : des gens viennent te voir, te racontent leurs doutes existentiels, puis toi tu peux griffonner n’importe quoi sur ton bloc-notes (je suis sûr qu’il dessine des trucs), en hochant parfois la tête quand tu sens que ton pauvre patient a enfin compris un truc tout seul. Puis de temps en temps tu lâches une phrase à peu près construite, avec sujet, verbe et complément. Mais pas trop. Et à la fin, tu t’en fous de tout ce qu’il a dit, parce qu’on t’a appris en école de médecine, à bien comprendre que tu ne devais jamais prendre ce qui t’était dit pour toi, et surtout, ne jamais mettre d’affectif. Un psy, c’est un peu le confesseur moderne. Sauf qu’il n’a aucune absolution à t’apporter. Ca reste à toi de te démerder, avec ta conscience, si jamais elle se réveille. En fait, c’est un vrai boulot de feignasses sans cœur.
Mais là j’ai l’impression que ça m’a fait du bien, cette séance.
Je le salue en lui filant son billet, et en le traitant de nouveau de crétin.

Il fait beau et presque « chaud » en ce moment. Il paraît que nous sommes proches des records de chaleur pour un mois de Mars. Enfin il faut relativiser, c’est un record pour le Canada… Mais c’est bien agréable. Je crains fort que cela ne me donne cependant une vision déformée de ce qu’est la vie au pays des caribous. Si j’y reste encore l’année prochaine et qu’il y a un véritable hiver à la dure (genre 6 mois de -10 à –25), je risque de pleurer. Ou d’hiberner.

Au magasin, ça va toujours bien.
J’ai finit pas comprendre pourquoi Jean avait autant de clients gays, et m’avait dit que je ressemblais à un « bear ». Il fait partie de la confrérie des « bears ». Je crois même qu’il est membre d’un club « bear ». Ben en fait je m’en tamponne un peu, dans le sens où après tout, chacun fait ce qu’il veut, ou peut. Le machisme primaire des homophobes, ça m’insupporte. Puis franchement, ils sont vraiment sympas, ses potes. Non, je n’ai pas « viré ma cuti ».
En tout cas c’est vraiment un boss super, pas chiant, pas trop radin, et qui sait récompenser les efforts des gens qui bossent avec lui.
En plus je peux me fringuer pour pas trop cher, et comme j’ai un peu enflé, j’ai dû renouveler tous mes jeans. J’en ai profité pour acheter une jolie paire de bottes de cow-boy, et quelques chemises à carreaux pour parfaire mon look de bûcheron. Enfin voilà ma vie quoi.

A part ça, quand je ne bosse pas, je suis plutôt casanier. Je sors peu, à part pour aller dans un club de karaté sympa que j’ai trouvé, 3 fois par semaine. C’est pas le même style, ici c’est du Shito-Ryu, mais tant mieux, ça me fait envisager le karaté sous un autre angle. Enfin déjà même quand tu restes dans le Shotokan, ça arrive aussi. C’est lié au « complexe du Grand-Skippy ». Beaucoup de profs se sentent obligés de se prendre pour des prophètes et de t’expliquer qu’ils ont revisité la méthode machin. Sans compter que parfois, ils te bassinent avec du prosélytisme à la con, en disant que leur courant est le meilleur, de manière explicite ou à demi-mot. Ici, je n’ai pas cette impression, et c’est une bonne surprise.
En plus il y a des cours de self-défense sympas. Ca me rappelle un peu les cours de Krav’ avec les potes de la BAC.
Oh, détail amusant, il y a deux copains de Jean qui viennent au club, Paul et Jimmy (là on voit que les Canadiens, ce sont des Américains francophones, mais tout de même bien influencés par les voisins États-Uniens !). Ils sont sympas. Paul, un mec pas très grand, mais assez costaud, bosse dans la police à Gatineau. Il est vachement bon en self. Comme je ne suis pas mal non plus, nous aimons bien travailler ensemble.
Il y a quelque temps de ça, nous étions donc en train de faire de la self, avec un mouvement qui finissait en soumission au sol. Là c’était son tour. Et tu sais ce qu’il me lance ? Tu ne sais pas, hein ? « Alors Olivier, ça t’ouvre des perspectives nouvelles ? ». J’ai éclaté de rire, et j’en ris encore en y repensant. Quel couillon.
Ca m’a fait du bien (pas l’idée des perspectives nouvelles, bourrique) de rire comme ça, parce que je réalise que ça faisait un bail que je n’avais pas vraiment rit à ce point.
N’empêche, quand ça a été mon tour, je me suis vengé. Je lui ai dit « Désolé, beau chauve, t’es pas mon type, t’as pas assez de poils sur le torse ». Il s’est marré également.
Il y a d’autres personnes vraiment sympas dans le club. Notamment un colosse super tanké, Michael. Il ressemble un peu à Fifty Cent. D’ailleurs je l’ai surnommé Curtis. Une pure belle gueule, un corps taillé dans le granit, 4 fois plus tatoué que moi. Parfois nous faisons des assauts façon kick-boxing. J’aime bien en faire avec lui. Attention, il a la main lourde. Par contre comme il est plus lent que moi, j’aime bien lui taquiner les guiboles avec des low-kicks un peu vicieux. Ca l’énerve prodigieusement. Par contre, après, je recule de 2 mètres, sinon il m’arrache la tête. Enfin tout ça avec un bon esprit, hein. Mais faudrait pas qu’une des 2 enclumes qui lui servent de poings me touche la tête. En-dehors, c’est un mec adorable. Mais sur les tapis, c’est une teigne. Un peu raide et un peu lent (faut se méfier tout de même, parce qu’il est super rapide des poings… C’est juste qu’au niveau des déplacements, je le crame), voilà tout. Faut juste pas qu’il te coince, sinon là tu manges.

Parfois, nous faisons des sorties entre potes. Surtout avec Curtis et Paul. Nous allons jouer au billard, boire des bières et mater les jolies filles. Enfin Paul il mate les mecs. Curtis prend sa revanche sur moi, parce qu’il tombe toutes les filles. Mais tout ça c’est super sympa, ça me permet de m’évader le temps d’une soirée. Certaines fois, Jean vient avec nous, et une copine à lui, très sympa. Une amie, parce que tu l'as compris, les femmes, c'est pas sa « tasse ». Je crois qu'il a un copain, par ailleurs. Enfin un « mec ».

Puis sinon, je gratouille un peu. Plus trop à deux heures du matin, et puis j’ai freiné des deux pieds avec la vodka, parce qu’elle était en train de devenir une amie un peu trop présente. En plus je me prenais pour un marin perdu et alcoolique, sachant que j’allais surtout devenir alcoolique. La mer, c’est moins mon truc. En plus, c’est dégueulasse, les poissons b… enfin tu connais la chanson de Renaud.
En ce moment, j’aime bien jouer (massacrer ?) « Ayo Technology », version Milow. Les paroles m’interpellent pas mal, depuis que je corresponds avec toi, ou ton fantôme, par le biais d’électrons, plus ou moins libres.
C’est une chanson à peu près à ma portée, enfin sur le plan de la guitare (ok, faut pas être trop attentif, je dois foirer une note sur 3, mais on reconnait la mélodie). Après, la version de Milow, c’est tendu vocalement. Je chante en fausse voix de tête sur les aiguës, je crois que c’est une horreur. Mais c’est pas grave, je suis dans mon trip, et après tout, c’est bien ça l’essentiel.
Mais bon, c’est sûr, à part pour passer dans le bêtisier, je n’irai pas à la « Nouvelle Star ».
Un soir, alors que quelques potes étaient à l’appart’, dont Curtis, venu avec une de ses superbes conquêtes, j’ai gratté un peu, genre on habite à San Francisco, on fume la moquette et on chante ensemble. Quand j’ai joué « Ayo Technology », Curtis m’a dit à un moment « Hey mec, c’est une chanson de Fifty Cent ça ! ».
Moi, un peu étonné, je lui ai dit que non, que le chanteur s’appelait Milow. Et là il m’a expliqué qu’au départ, c’était une chanson de Fifty Cent. Nous avons alors regardé et écouté sur Youtube, et là il m’a choisi la version Fifty Cent ft. Justin Timberlake. J’ai bien aimé aussi. Je trouve que tous les deux ont du talent. Puis il y a l’incontournable Timbaland aussi, qui chante un bout et est dans le clip. Pendant ce temps, en France, nous on se tape « Bubba » et des mecs du genre… La lose, quoi.
Puis Curtis a pris la guitare, et nous a joué des morceaux de blues. Il est super doué à la gratte, et en plus il a une voix de folie. Moi qui l’imaginais aimant le rap… Il aime bien quelques trucs comme ça, peut-être parce qu’on a du souvent lui dire qu’il ressemblait à Fifty Cent, mais en fait c’est juste un putain de bon bluesman.

Pour finir, j’appelle souvent Dave, ou lui m’appelle. Ca me permet d’avoir des nouvelles « du pays », et de lui, bien entendu. Parce qu’il me manque, et que même si j’ai trouvé de bon potes ici, un ami d’enfance, c’est spécial.
Hier il m’a appelé, il était super enjoué. Il a rencontré une fille, et il en est très amoureux, et ça a l’air réciproque. Après tout ce qu’il a enduré après le départ de Valérie, et ses années de tristesse, ça me fait vraiment plaisir pour lui.
Tu vois, je suis aigri, mais ça ne m’empêche pas d’apprécier le bonheur de ceux que j’aime.

En fait je n’ai pas tout à fait fini. Je dois te dire que depuis l’été dernier, je t’ai encore plus « dans la peau ». Avec Dave, nous étions partis en vacances près de Bordeaux.
Un soir de gros blues, je lui ai dit que je voulais me faire tatouer un truc pour « marquer » ton départ.
Nous avons demandé dans le coin si il y avait un bon tatoueur, et des mecs nous ont parlé d’un pro très réputé, à Bordeaux, un gars qui s’appelle Michel.
Je l’ai appelé le lendemain. Il était overbooké, mais comme j’ai pleurniché un peu, il m’a trouvé un RDV pour la semaine d’après, en fin de journée.
Nous y sommes donc allés tous les deux, et j’ai flashé sur un superbe dessin. C’est un « ange », de dos. Ok, c’est un ange en string. Mais je suis formel, on voit bien les ailes à côté de ses longs cheveux. Il a fait du super boulot ; ça a pris 4 heures, durant lesquelles Dave m’a gentiment attendu. Parfois il sortait faire un tour, le shop du tatoueur se situant tout près d’une très grande rue commerçante à Bordeaux, apparemment très connue, et en tout cas super fréquentée. Il parait que c’est la plus longue voie piétonne d’Europe. Il nous a ramené des boisons, parce que nous crevions de soif, malgré l’heure tardive.
Il y a une symbolique forte sur le dessin : l’ange de dos, c’est toi. Parce qu’un jour tu es partie, et que tu m’as tourné le dos. C’est puissant, non ?
Voilà, je t’ai sur mon avant-bras gauche maintenant. Ca te fait une belle jambe ?

Tu me manques toujours autant, vilaine garce.
Je t’embrasse aussi, quasiment sans t’insulter.

Olivier
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Message  HannibalaTor Sam 26 Jan - 17:32

Gatineau, Province de l’Outaouais, 5 Avril 2012.

France,

J’ai plein de trucs à te raconter. Enfin des trucs vraiment importants, qui m’ont fortement troublé.

Samedi soir, je suis rentré du boulot vers 20 heures 30. On a fait un inventaire « vite fait », ça m’a un peu retardé.
En garant ma voiture, j’ai vu un type arriver en même temps que moi. Un mec avec une tête de con, un peu costaud mais trop sûr de lui, genre « Je suis un killer ».
Il est rentré dans le même hall que moi, et je me suis aperçu que nous allions tous deux au même étage. Ca m’a un peu surpris… Tu connais mon côté « concierge »… J’ai attendu un peu, faisant mine de chercher mes clefs, et l’ai vu rentrer chez Nathalie.
Ca alors, elle s’encanaille la petite Nathalie ! Elle reçoit un killer d’opérette… On se fait souvent de fausses idées. En même temps que je pense ça, j’ai une impression paradoxale. D’un côté ça me rend un peu jaloux, non pas que j’aie des vues sur Nathalie (même si elle est vraiment vachement mignonne), mais plus parce que la savoir célibataire tout comme moi, ça me « rassurait ». Je sais, c’est con. De l’autre côté, ça m’a fait plaisir pour elle, parce que – voilà le paradoxe – ça m’embêtait de la voir seule tout le temps.
Enfin… La soirée se déroulait normalement, dirais-je. J’étais en vautré sur mon canapé, en train de regarder une série US à la télé, et de manger des chicken wings épicées. Le grand kiff du célibataire qui a foiré sa vie sentimentale, en somme (ça et les bars à fille !).
Vers 22 heures 30, il a commencé à y avoir un bug. J’ai entendu une conversation agitée provenant de chez Nathalie. L’agitation s’est transformée en hurlements, intercalés de bruits bizarres, puis il y a eu un bruit sourd, un grand cri, puis soudain beaucoup moins de bruit.
Je suis sorti de mon appart’ et suis allé sonner chez Nathalie. Là, c’est le pseudo killer qui m’a ouvert. Enfin qui a entrouvert la porte. Quand il m’a vu, il a beuglé un truc genre « C’est pour quoi ». Il faut en aparté que je te dise que tant que tu n’es pas habitué, il est impossible qu’un type qui te parle avec l’accent canadien ait l’air menaçant. C’est pas possible, cet accent a été créé pour me faire rire. Je lui ai répondu que j’étais le voisin d’en face et que j’avais entendu du bruit. Toujours est-il que le mec n’a pas été aimable. J’ai eu le temps d’entendre Nathalie pleurer, sans la voir.
Le rustraud m’a dit d’aller voir chez moi si il y était. Normalement, enfin dans d’autres circonstances, je l’aurais tamponné direct. Là j’ai laissé tomber, il a du se sentir tout à fait épanoui. Je n’étais pas invité à rentrer, et si j’avais insisté en poussant la porte un peu lourdement, je savais comment ça aurait terminé… Et je ne me sens pas encore vraiment « chez moi », ici, alors je reste prudent.
Le Lundi, il est parti presque en même temps de moi. Comme nous allions ensemble sur le parking, il m’a regardé avec l’air qui lui permet de faire peur aux petites vieilles et aux demoiselles de 50 kilogs. J’ai laissé pisser. Tu vois, je me soigne.

Puis quand je suis rentré, le soir, et je suis allé sonner chez Nathalie.
Elle a entrouvert, timidement, et n’a pas voulu m’ouvrir complètement tout de suite. J’ai malgré tout vu qu’elle avait un pansement et un vilain hématome autour, près de l’arcade. Je me suis senti honteux de ne pas avoir assez insisté Samedi soir… Alors j’ai parlé un peu avec elle dans l’entrebâillement de la porte, ai insisté pour qu’elle ouvre – mais sans la brusquer. Ce que j’ai vu dans ses yeux, ça m’a rappelé des mauvais souvenirs de l’époque de la police, puis de la BAC. J’en ai vu un paquet, de femmes comme ça, que ce soit au commissariat, ou ensuite en intervention de nuit, quand nous allions prêter main forte aux collègues. J’en garde encore des cauchemars récurrents. Pour la rassurer, je lui ai expliqué vite fait que j’avais « dans une autre vie » et un autre pays (quoi que ça elle le savait déjà) été « gardien de la paix », puis membre de la BAC à Nice, et que donc j’avais un peu d’expérience dans ce domaine. C'est-à-dire la gestion des beignes, pour être clair.
Ca m’a tout de même surpris qu’elle accepte d’ouvrir. Souvent, les femmes battues, qui tombent quasiment tout le temps sur des mecs mentalement pervers, sont convaincues qu’elles l’ont « cherché », culpabilisées qu’elles sont par leurs bourreaux. Fort heureusement, je crois qu’elle, elle avait compris tout de suite qu’elle était tombée sur un cinglé (pas moi, mais l’autre, bourrique !), et même si l’autre connard lui avait certainement joué la scène à l’envers, elle a accepté de se faire un peu aider, de se livrer. C’est rare.
Quand je suis entré dans son appartement, je me suis permis – avec son consentement – d’examiner son cocard. Ce porc ne l’avait pas qu’un peu baffée, il lui avait bien abimé l’arcade. Elle avait mis un misérable pansement dessus, comme pour masquer les stigmates de cet acte honteux. J’étais un peu étonné, sachant que Nathalie est infirmière, de la prise en charge assez légère de son hématome. Comme quoi le truc sur les cordonniers mal chaussés, ça s’applique à pas mal de métiers.
Je lui ai demandé de s’asseoir, suis allé chercher ma trousse dans mon appart’, et suis revenu aussitôt. Je lui ai dit que j’allais m’occuper de son cocard, parce que j’étais un « spécialiste » des beignes. J’ai enlevé son pauvre pansement délicatement, et ai découvert un vrai sale hématome. Heureusement, il n’y avait pas eu d’ouverture de ladite arcade. Je dis heureusement, parce que là où il avait cogné, il lui aurait fallu des points de suture douloureux, et ça aurait saigné abondamment avant cela.
Je suis allé vers son frigo et ai pris de la glace. Je l’ai mise dans mes poches qui vont bien, sorties de ma trousse miracle. Je lui ai dit que pour ce type d’hématome, il n’y avait à priori pas besoin d’autre chose que de glace et d’arnica. Comme quoi, le karaté et la boxe, ça a des applications très pratiques. Et en plus, elle m’a dit un truc genre « Je sais »… Cause toujours quoi…
Alors que je lui tendais la poche de glace et lui demandais de l’appliquer elle-même sur son hématome, j’ai parlé avec elle. Je lui ai demandé de me parler de ce qui s’était passé.
Elle m’a expliqué que ce crétin était son « boyfriend » depuis quelques semaines, et qu’il venait de temps en temps passer un week-end chez elle. Elle m’a aussi dit que c’était un « dur » etc… C’est sûr, pour cogner sur une femme, faut être un dur.
Après, elle m’a raconté le déroulement de la soirée, et expliqué que le mec avait pas mal picolé, et s’était soudainement mis à faire une crise de jalousie pour une connerie, un détail. Elle ne se souvenait même plus du détail. Puis il s’était mis à gueuler (ça je l’avais bien entendu), et comme elle avait osé répondre (elle a du caractère cette Nathalie), l’autre était devenu furieux, avait cassé des trucs, et lui avait finalement mis une grosse trempe à la « Tonton flingueurs ». Je crois que c’est le fait que ce soit une « baffe » plutôt qu’un coup de poing qui explique que l’arcade n’ait pas pété. Là, elle s’effondre en larmes. Ca arrive souvent, dans ces moments là. Avoir vécu le truc, c’est horrible, mais le raconter, ça replonge les victimes dedans une nouvelle fois. C’est traumatisant à vivre. Je la prends dans mes bras et lui dis de laisser aller, de pleurer autant qu’elle veut.
Nous papotons une heure environ. Parfois elle a le bras fatigué et baisse la poche de glace, et je la reprends aussitôt en lui disant qu’il faut la laisser un max de temps. Avec à chaque fois un timide « Je sais ». Vous êtes chiantes les filles, parfois.
Comme elle est fatiguée, je lui applique une compresse d’arnica. J’essaie de la faire sourire en lui disant que c’est une guerrière, pour la faire rire je lui raconte un entrainement de boxe durant lequel je m’étais pris un œuf de pigeon au même endroit, et que j’avais gueulé comme un veau. Je lui ai dit qu’elle était donc bien plus courageuse que moi. Elle a sourit timidement.
Puis à un moment, je l’ai vue se lever et préparer ses affaires, comme pour aller au boulot… Là je lui ai dit que c’était hors de question, ai insisté lourdement pour qu’elle appelle à son travail afin de dire qu’elle était « malade » et ne pouvait pas venir. Ce qu’elle a accepté de faire. J’ai également insisté pour qu’elle porte plainte auprès de la police, parce que ce genre d’acte traumatisant ne doit pas rester impuni.
Là je sens bien qu’elle est gênée. Elle me dit qu’elle ira, mais je sais qu’elle cherche à m’embrouiller. Son regard sent la peur à plein nez, et ça, je sais le reconnaître.
Je la laisse chez elle, en insistant bien pour lui dire que j’étais à côté en cas de besoin. Elle me lance la classique formule du type : « Oui, je t’appelle en cas de besoin ». Tu parles…
Je retourne à mon appartement et m’affale sur le canapé, en allumant la télé. Je vais dormir là, comme ça si j’entends du bruit dans la nuit, je peux vite sortir et faire ce que j’ai à faire.
Puis j’ai son regard qui m’obsède, je ne sais pas trop pourquoi.

Le lendemain matin, après m’être préparé pour aller au boulot, j’ai sonné chez elle, puis suis rentré discuter avec elle quelques minutes. Alors que nous échangions des banalités, j’ai regardé son hématome. Ca ne réagit pas trop mal, mais c’est tout de même encore bien gonflé. Je lui fais ma « prescription » de la journée : poches de glace pendant une heure, avec des pauses, puis compresse d’arnica. J’ai eu droit à quelques « Je sais »… Comme j’ai laissé ma trousse chez elle, je lui montre ce qu’il faut mettre comme dose. Encore un « Je sais »… Je souris en me disant que malgré la gravité de la chose, elle doit se retenir de me rappeler qu’elle est infirmière… N’empêche, je le redis, je suis diplômé « BAC » en gestion des beignes, alors elle n’a qu’à se laisser faire et écouter mes sages conseils !
Je lui dis de bien se barricader chez elle. En sortant, je sais que je dois aller au boulot, mais j’aurais préféré rester avec elle, au cas où l’autre abruti envisage un second round.

Ma journée de boulot se passe tranquillement. J’ai voulu appeler Nathalie, mais je ne savais pas trop comment elle le prendrait, alors j’ai prié pour que tout aille bien.

Lorsque je suis rentré le soir, je suis allé faire ma visite de routine chez elle.
Re-glace, re-papotage, re-compresse à l’arnica. Re « Je sais » aussi.
Nous avons pas mal parlé. Elle m’a expliqué comment elle avait connu l’autre crétin qui aime bien jouer à Mike Tyson avec des femmes.
Elle l’a connu au boulot ; c’est un vague conducteur d’ambulances, et il lui a fait du gringue il y a quelques mois. Comme elle l’avait trouvé marrant, elle a finit par sortir avec lui. Elle m’explique qu’il s’est souvent montré jaloux, mais que jamais elle n’avait imaginé qu’il puisse la frapper. Qui imagine ça, d’ailleurs ? Enfin je veux dire… Là, tout en l’écoutant, je commence à comprendre mieux pourquoi ce regard remplit de peur qu’elle arbore à chaque fois qu’elle évoque les faits m’obsède. Au début, j’avais pensé que c’était juste lié à ce que j’avais vu quand j’étais policier. Quel con je fais.
Ce regard, si le connais si bien, c’est que j’avais vu le même dans tes yeux, France, quand je tapais sur les portes, lorsque je faisais mes crises de jalousie. Ca m’a fait un choc de comprendre ça, et ça m’a foutu très mal à l’aise pour le reste de la soirée.
Elle me dit aussi que ce taré l’avait appelée dans la journée, qu’il lui avait fait le cinéma habituel des mecs qui cognent les femmes, genre « Je suis désolé, je ferai tout pour me faire pardonner » et puis « Je ne comprends pas ce qui m’a pris, c’était la première fois ». C’est fou ça, on dirait que tous ces connards ont suivi une formation dans la même école, au sein de laquelle on leur a appris à répéter les mêmes boniments. Fort heureusement, Nathalie lui a dit qu’elle ne voulait plus jamais le voir. En entendant ça, ce minable lui a juré qu’il reviendrait, et qu’elle devrait bien lui ouvrir, qu’elle le veuille ou non. Là encore, je la vois terrorisée.
Avant de partir, j’ai demandé à Nathalie si elle était allée porter plainte auprès de la police. Elle me dit que non, et je vois encore son regard empli de cette peur, cette même peur que j’ai vu tant de fois chez les femmes battues, puis dans tes yeux, aussi. J’ai envie d’insister, mais ce soir je ne me sens pas la force. Ca a remué tant de choses, tout ça… Mais je vais rester vigilant, parce que le dégénéré peut revenir. Je connais ces prédateurs. Certains arrêtent à la première plainte, d’autres ne lâchent leurs proies que quand ils se retrouvent en cabane, ou que leur victime finit à l’hôpital. Ou à la morgue. D’autres s’arrêtent en se prenant à leur tour une bonne rouste. J’aime bien cette solution là, j’avoue.
Je la laisse chez elle, seule avec sa peur. Je rentre chez moi, seul avec mes angoisses et mes doutes. Je me reprends en me rappelant à moi-même que la véritable victime, c’est Nathalie. Moi je ne suis « victime » que de ma culpabilité, enfin révélée par cette prise de conscience de mes propres actes passés. Cela ne m’empêche pas d’être toujours aussi mal à l’aise.

En arrivant chez moi, je me suis douché, comme pour essayer de me laver de toutes ces saloperies qui me trainent dans la tête. En vain.
Puis je me suis fait à manger (des chicken wings, ça me change !) et me suis installé sur le canapé, mon nouveau QG. J’ai allumé la télé, ai zappé, puis suis tombé sur une chaîne qui diffusait « New-York – Unité Spéciale ». Enfin ici, ils appellent ça « La Loi et l’Ordre – Crimes sexuels ». C’est marrant, nous ne traduisons pas les titres des séries et films anglo-saxons de la même manière.
Il s’agit d’épisodes avec Chris Meloni. J’adore ce mec, et je trouve son rôle magnifique. Je l’avais déjà bien aimé dans « OZ », même si il y jouait un rôle de taré. Parce que ce taré, il était aussi en quête de rédemption, dans certaines de ses actions. Un personnage complexe, là encore.
Dans l’un des épisodes diffusés ce soir, il est confronté à des enfants battus, et se montre violent avec l’agresseur présumé. J’ai quasiment l’impression de me voir à la télé. Ok, je suis flatteur avec moi-même. Mais tu as bien compris que c’était plus « métaphorique » qu’autre chose. Enfin je ne sais pas si le terme est adapté, mais tu m’as compris quoi. Chris il est super beau, et il a un sex-appeal fou ; pour ça je ne lui ressemble pas. Mais ce policier qui se montre violent pour lutter contre des violences qui lui en rappellent d’autres qu’il a subies… Tu vois le truc quoi. Forcément, ça m’interpelle. J’en chiale presque, même à un moment. Ok, j’en chiale. Tais-toi donc, bourrique.
Plusieurs épisodes s’enchaînent, et je finis par m’endormir au beau milieu d’un d’entre eux.
Cette journée a remué pas mal de démons.

Le lendemain, je recommence à faire mon « infirmier de guerre », et vais de nouveau voir ma petite blessée, avant de partir au boulot.
Au moins son arcade va mieux. Elle a bien suivi mes conseils d’expert en beignes.
Nathalie me dit que son cinglé l’a rappelée cette nuit… C’est un vrai psychopathe. Elle a finit par laisser le téléphone décroché.
Je la quitte en lui laissant mon numéro de téléphone au travail. Je ne suis pas tranquille, à cause des appels de l’autre malade mental. Je sais qu’il reviendra. Ils reviennent quasiment toujours.

En arrivant au boulot, Jean, qui est habitué à ma tête mi-couillon marrant, mi-dépressif, trouve tout de même qu’il y a un truc pas normal. Enfin plus anormal que d’habitude quoi. Je lui explique la situation en gros, vite fait.
Jean a aussitôt pris son téléphone, composé un numéro… Ca sonne
- « Salut Paul. C’est Jean. Viens au magasin s’il te plait, j’ai besoin de toi ».
Paul ? Mon pote le policier « bear » du club de karaté ?
Je vaque à mes occupations du matin. Un petit coup de refresh au linéaire, un coup d’œil sur le PC pour le stock, et c’est parti pour une journée.
Un quart d’heure à peine après, je vois arriver le Paul auquel je pensais. Il salue Jean et me salue également.
- « Olivier, je crois que tu connais bien Paul. Tu l'as déjà vu ici, et vous vous voyez régulièrement à ton club. Comme tu le sais certainement, Paul est policier, je lui ai parlé de ce que tu m’as dit ».
Ben il percute vite le boss… Faut dire qu’il a vu ma mine inquiète. Quand à moi je suis couillon, j’aurais du y penser également à Paul, et lui en parler, au club. Je te dis, depuis que je suis ici, je suis à l’ouest (ce qui est d'ailleurs géographiquement vrai, par rapport à toi), je ne réagis plus de façon rationnelle. C’est forcément en partie de ta faute.
Je discute avec Paul un moment, lui relate les faits de manière un peu plus détaillée. Je lui dis que j’ai été « de la maison », de l’autre côté de l’Océan. Nous n’en avions pas parlé au club. Il me dit cependant qu’il s’en doutait. Suis-je donc si transparent ? Il m’explique ensuite ce que je sais déjà : sans plainte, il ne peut officiellement rien faire. Par contre il me glisse son numéro de téléphone et me dit qu’en cas de besoin, je n’hésite pas à l’appeler.
C’est vrai que sans plainte, on ne peut officiellement rien faire, dans ce type d’affaires malheureusement si courantes.
Paul repart, et je remercie Jean, d’un regard et d’un sourire. Un peu crispé, mais un sourire de remerciement.
La suite de la journée s’est bien déroulée. Des clients, des clientes. Oh, une cliente m’a fait penser à toi. Ca m’a fait du bien, ça m’a fait du mal. Une ressemblance troublante. Son accent canadien me permettait de ne pas trop plonger dans l’illusion (ça faisait comme si je voyais un film de toi, mais avec un doublage par une Canadienne). Mais quand elle ne parlait pas, c’était troublant. Et oui, j’ai maté ses fesses. Ca a fait marrer Jean, d’ailleurs, et la demoiselle aussi, qui s’en est rendu compte.
Je suis un sale type, tu le sais bien.

En rentrant du boulot, je suis retourné voir ma petite blessée de la guerre de la connerie.
Elle semblait terrorisée en m’ouvrant la porte. Sur la table de sa cuisine US, le combiné était encore décroché.
Elle m’a expliqué qu’après l’avoir laissé décroché toute la nuit, elle avait fini par le raccrocher, dans la journée, et qu’il n’avait pas fallu un quart d’heure pour que le taré appelle à nouveau. Cette fois-ci il avait été beaucoup plus explicite, lui disant qu’il ne la lâcherait pas, et autres trucs de psychopathes. Elle a ensuite de nouveau laissé le combiné décroché…
Là je lui ai redis qu’il fallait porter plainte… En vain. Je tente de la ménager. Non pas qu’il n’y ait pas urgence, mais je sais aussi que face à ces situations, tu as bien plus de probabilité de braquer la victime, qui se referme alors comme une huître dans sa coquille, que de la convaincre par la « force ». Normal, « la force », c’est ce que les victimes de ces drames redoutent. Et puis Nathalie, ça n’est pas une inconnue. Ca fait plusieurs mois que nous nous connaissons. J’ai des réactions pas professionnelles du tout, et ce sont mes tripes qui prennent plus le dessus. J’ai envie d’aller démonter la tête de l’autre taré.
Je m’occupe un peu de son hématome, et ce faisant, je creuse un peu le truc concernant sa peur de Ducon (ça y est, je lui ai trouvé un sobriquet). J’essaie d’y aller doucement, subtilement, dans la mesure de mes moyens. Il parait que c’était mon fort, quand j’étais dans la police. Ca doit bien te faire marrer, tiens, que je dise ça.
Et là j’ai commencé à vaguement comprendre. Elle m’a expliqué que son taré, c’était « super boxeurman », qu’elle l’avait vu « casser la gueule » à un type une fois, pour une histoire de place de parking, et qu’elle était terrorisée par lui, de ce fait. La violence qu’elle avait subie elle-même de la part de ce cinglé l’avait malheureusement confortée dans cette idée.
J’ai encore pas mal parlé avec elle, lui ai expliqué de nouveau que seule une plainte officielle pouvait la protéger. J’ai évité le couplet « Et cela évitera qu’il le fasse à d’autres », car c’est super culpabilisant. Même si j’y ai déjà eu recours, ça m’a toujours écœuré.
Je crois que l’idée fait son chemin petit à petit.
Je lui ai dit que j’allais dormir sur son canapé cette nuit, parce que je la vois vraiment terrorisée. Demain matin, j’appellerai Paul, et nous irons ensemble au commissariat.
Avant qu’elle n’aille se coucher, après m’avoir donné un oreiller et une couverture, je la préviens tout de même : « N’aie pas peur si tu entends des grognements cette nuit, c’est juste parce que je ronfle ». J’ai failli lui dire aussi que c’est parce que je pète, mais je sens bien que nous ne sommes pas encore assez intimes.
Je m’endors devant la télé alors que Nathalie dort déjà depuis pas mal de temps.

Un bruit de sonnette me réveille. J’ai l’impression d’avoir peu dormi, c’est bizarre. Je regarde mon téléphone ; il est 2 heures du matin… D’un autre côté, comme je suis encore dans le coltar, je me dis que j’ai peut-être « rêvé » cette sonnerie. Ca expliquerait tout.
Mais voilà, ça sonne de nouveau… L’arrivée de Nathalie, en pyjama, dans le salon, me permet de réaliser qu’il y a bien quelqu’un qui sonne. Mais quel est le con qui vient sonner à une heure pareille ?
Je vois Nathalie qui est inquiète. Je percute et me dis que ça doit être Ducon.
Gagné. Maintenant il tambourine à la porte et se met à gueuler sur le pallier. Nathalie est de nouveau terrorisée, elle tremble.
Je lui dis gentiment, mais fermement, d’aller dans sa chambre, et que je vais m’occuper de la visite impromptue. Elle refuse, et me demande de ne surtout pas ouvrir. Je vois bien qu’elle est morte de peur. Je tente de la rassurer, et lui dis que je vais gérer.

Je vais entrouvrir. Je revois la tête de Monsieur Ducon, qui semble d’abord étonné, puis me lance un « Mais qu’est-ce que tu fous là connard ?! », et donne un coup d’épaule pour forcer la chaînette de la porte. Pas de chance, ça bloque tout de même. Je retire la chaînette et ouvre la porte en grand.
Ok, le signal est donné. J’attrape Ducon par le col, le fait valser dans le salon et referme la porte. Ce soir nous allons jouer à guichet fermé. Il s’est écrasé sur le canapé en beuglant. Il se relève et me dit qu’il va me « défoncer la gueule ». Tout un programme.
Très courageusement, il se rue sur Nathalie, qui se tient plus près de lui que de moi, et lui assène un coup de poing, cette fois-ci sur l’autre arcade… Alors que Nathalie hurle et se tient l’arcade, tombant sur le canapé, Ducon se tourne vers moi. Pas la peine Ducon, je suis déjà là.
Là ça y est, je vais enclencher le plan Armageddon. Fallait pas la taper.
Ducon veut me mettre un crochet à 2 balles. J’esquive, et son poing s’écrase lamentablement sur le placard près duquel je me tiens. Ca y est, j’ai les abeilles, et il est temps que ça cesse.
Je lui expédie un teisho sur le nez, j’entends un craquement. Il pisse le sang. Je lui envoie ensuite un petit crochet court dans le foie, il est plié en deux. Je le finis vite fait avec un coup de genou dans le bide. Ca a dû durer 3 ou 4 secondes. Je ralentis en vieillissant. Il tombe par terre comme la merde qu’il est. Les veines de mon cou sont à bloc, et charrient des hectolitres de sang. Pendant un instant, j’ai envie de le finir au sol, afin qu’il ne puisse plus jamais refrapper une femme de toute sa vie. Je me tempère.
C’est à ce moment là que Grizzly est entré dans la pièce. Je n’avais pas bien refermé la porte… Il a entendu du bruit (tu m’étonnes) et est venu voir ce qui se passait. Je regarde Grizzly et reprends peu à peu mes esprits. Il ne sait pas trop quoi faire. Nathalie se tient sur le canapé, le regard dans le vide… Je m’occupe d’elle et tente de la « réconforter ». J’explique à Grizzly ce qui s’est passé, et lui dis que je dois m’occuper de Nathalie. Elle est complètement sous le choc. Grizzly va voir Ducon, qui semble faire une petite sieste. Mais il va bien, j’ai été gentil finalement. Je l’entends même gémir. Il ne dort pas finalement, il simule.
Je suis passé du mode « full sauvage » au mode « premiers secours psychologiques ». La situation est surréaliste…Concrètement, sur le coup, je m’en contrefous de l’état de Ducon.
Je tente encore de « rassurer » Nathalie… Ok, c’est pas gagné… Je lui dis «que « c’est fini ». D’un autre côté, elle a pu voir que le problème Ducon était techniquement réglé. D’un autre côté, elle est encore terrorisée par la peur que ce taré lui a infligée, et également par ce qu’elle a encore subi. Sans compter que cette fois, elle a une blessure ouverte. Je regarde Ducon et lui dis sobrement « Tu bouges, tu parles, tu clignes des yeux, je te termine ». Message reçu.
Là j’ai plein d’images qui défilent dans ma tête : « police, audition, procès, you go to jail (parce que Ducon ne manquera pas de porter plainte) et expulsion direction la France »… Bad trip parano…
Alors que mes neurones semblent redevenir pleinement actifs, je me souviens que j’ai un pote qui travaille dans la police… J’appelle Paul sur son portable, tant pis pour l’heure… Il est assez surpris de mon appel et grogne un peu. Je lui explique ce qui s’est passé, et il me dit qu’il est là dans quelques minutes.
Quand il arrive, et que je lui ouvre la porte, Nathalie est encore choquée, mais Grizzly s’occupe d’elle. Ducon s’est réveillé, je lui ai expliqué de nouveau que pour son intérêt vital, il serait bon qu’il ne bouge pas une paupière et n’ouvre pas le déversoir à bouse qui lui sert de bouche. Apparemment, il a pigé.
Paul me prend à part, pendant que Grizzly surveille Ducon. C’est dissuasif, je suis certain que Ducon ne bougera pas. Paul me briefe vite fait. Il dit à Grizzly qu’il peut rentrer chez lui.
Paul appelle ses collègues, qui arrivent peu après et font leur job, avec « audition » rapide de Nathalie, et soins d’urgence sur place ; elle ne sera « convoquée » que quand son état de santé le lui permettra. Elle est par contre emmenée à l’hôpital, par les secouristes venus avec les collègues de Paul. Ducon a reçu des soins lui aussi ; même si ça me fait suer, c’est la « règle ».
Paul, Ducon et moi partons avec eux au commissariat de nuit.
Là-bas, les officiers de garde reçoivent nos dépositions. Paul prend la mienne. Ils ont aussi envoyé Ducon à l’hosto. Je dois vieillir ; il n’a pas le nez cassé.
Quand je repars, il est 5 heures du matin. Paul m’a informé, après vérifications d’identité, du fait que Ducon avait déjà eu plusieurs plaintes au cul pour des faits similaires, avec condamnations à la clef, et que là il allait manger de la cabane pour un « certain temps ». Il a été chargé à bloc, et dans la journée, Nathalie enfoncera le clou, car cette fois, elle me l’a dit, elle portera bien plainte. Ducon portera probablement plainte contre moi, mais avec une agression caractérisée, récidive, et son « casier », il va avoir du mal à passer pour une victime. Ca ne m’empêche pas de redouter des suites, mais je préfère avoir agit ainsi plutôt que d’avoir compté les points.
Plus tard dans la matinée, j’irai la voir à l’hosto. Un collègue de Paul lui a donné des nouvelles ; elle va « bien », autant que faire se peut dans ces circonstances. Elle va physiquement à peu près bien, en fait. Pour le reste, ça va demander du temps.
Je rentre me coucher, je suis vanné.

Mon réveil sonne à 7 heures. J’ai la tête dans le cul, faut pas se mentir.
J’appelle Jean pour lui dire que je ne vais pas venir bosser ce matin, et lui explique la situation. Comme il était déjà prévenu depuis la veille, il comprend parfaitement et ne me fait pas d’histoire.

Je suis complètement chamboulé, en fait.
D’abord parce que j’ai mal géré la situation en laissant à Ducon une opportunité de refrapper Nathalie, ensuite parce que je suis très inquiet pour elle, concernant les suites « psychologiques ».
De plus, ce qui s’est passé ces derniers jours a été un électrochoc pour moi : ces violences qui me répugnent, je te les ai finalement infligées, même sans t’avoir jamais frappée.
Je réalise également que si j’ai autant pété les plombs face à l’autre, c’est parce qu’en fait je me suis vu en lui, dans une certaine mesure. Et que dans le regard de Nathalie, j’ai retrouvé le tien.
Je suis aussi con que l’autre merde, et ça, ça vient de me péter à la gueule.
La violence, c’est un poison, et je suis contaminé. Je vais devoir retourner voir « Woody Allen », car j’ai des choses à lui dire. Beaucoup de choses.
Tout est si confus en moment.

Je t’embrasse.

Olivier
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Message  HannibalaTor Sam 26 Jan - 17:33

Gatineau, Province de l’Outaouais, 8 Avril 2012.

France chérie,

Ben oui…
Aujourd’hui, nous sommes Dimanche. Je déroge à la règle que j’avais établie en prenant l’habitude de t’écrire le jeudi.
Ma « routine » épistolaire parce que les évènements récents ont modifié ma routine tout court…

Jeudi dernier, je suis allé voir Nathalie à l’hôpital. Elle était salement amochée, et ça m’a fait un choc en la voyant. Tu vois, pour le coup, je me suis senti comme un psy qui fait face à un problème chez un proche : ça n’est pas la même chose quand il y a de l’affectif. Nathalie, ça n’est pas une victime anonyme, c’est une voisine et amie.
Ma mauvaise gestion de la situation, dans certains compartiments de celle-ci, est en grande partie due à cela. Peut-être parce qu'elle n’était pas une « victime » ordinaire, mais une amie victime d’un cinglé. J’ai réagit comme un loup, mon animal totem, tu le sais bien. Mais je n’ai pas été pro. J’aurais du la pousser à porter plainte de suite. Mais on ne refait pas l’histoire, je ne le sais que trop.
Physiquement, malgré la violence du coup et les saignements, ça va à peu près. Ils l’ont juste gardée jusqu’au Vendredi, histoire qu’elle passe un moment en « observation », et que différents examens soient faits, notamment afin de vérifier qu’il n’y ait pas de trauma crânien.
C’est psychologiquement que ça va être plus dur… Je lui ai promis de venir la chercher à sa sortie. Il est hors de question que je la laisse rentrer seule chez elle ; elle a eu bien trop peur la dernière fois qu’elle était dans son appart’.
L’après-midi, je suis retourné bosser. Jean a été très sympa, comme si c’était moi la victime. C’est vrai que j’en ai pris un coup, moralement, mais moi je n’ai pas dérouillé.
Paul est passé nous voir vers la fin de la journée, afin de nous dire que Ducon était en détention préventive (enfin genre le truc local, quoi), et qu’il serait jugé en express, au regard de la gravité des faits, et de la récidive. Quant à son éventuelle plainte « il peut se la mettre au cul », m’a lâché Paul. Je ne sais pas trop quoi en penser, mais ça me va bien.
Je ne suis pas allé au karaté ce soir là. J’ai eu mon compte hier. Enfin…
Je suis repassé voir Nathalie à l’hosto, mais je suis arrivé un peu tard, et elle dormait. Ce qui est compréhensible, après ce qu’elle venait de vivre. Je lui ai laissé un petit bouquet, les infirmières ont été super sympas : elles m’ont trouvé un vase. Il faut dire que se sont ses collègues. Elles me prennent pour un héros.
Si elles savaient…

Le vendredi, j’ai eu une journée « normale » au magasin.
RAS, à part que j’ai appelé Nathalie vers midi, pour savoir comment elle allait, et lui confirmer que je passais la chercher vers 15 heures. Jean a été encore très sympa, et m’a laissé quitter plus tôt, vers 14 heures 30.
Je suis arrivé à l’hôpital largement dans les temps, alors qu’elle était en train de signer des papiers, et de discuter avec un médecin. Médicalement parlant, ça s’est plutôt bien passé. Le doc m’a parlé deux minutes, et m’a dit que tout était ok. Pas de trauma, pas de séquelle non plus à priori, à part des points de suture et un énorme pansement. Je lui ai dit qu’elle ressemblait à Darkman, et que j’étais super fier de raccompagner une super-héroïne. Ca l’a fait sourire un peu. Faut bien dire des conneries. Tu sais que ça a toujours été une de mes grandes spécialités. Et puis si ça a été suffisamment éprouvant pour elle, je sais aussi que dans ces moments là, il faut parfois « dédramatiser » le truc en faisant ça, juste histoire de faire passer le message « show must go on ».
J’ai roulé doucement et l’ai accompagnée chez elle. Elle était fatiguée et a voulu faire une sieste. Moi je suis resté dans le salon, avec mon nouveau pote le canapé. Tu vois, ça non plus, ça n’a pas changé. J’aime toujours autant les canapés. C’est mon côté « horizontal ».
Tous les voisins sont passés la voir, vers la fin de l’après-midi, en lui amenant des fleurs ou autre chose. J’ai vu que ça l’avait touchée.
Grizzly ressemblait à un écolier timide qui amenait des fleurs à la maîtresse. Je te dis pas le contraste… Le golgoth de près de 2 mètres qui amène un bouquet de fleurs. C’était super touchant, il faut dire. Puis « Ma Dalton » lui a amené un gâteau aux noix de Pécan et au sirop d’érable. J’en ai mangé au moins le quart. Même Grincheux est venu. Il m’a regardé d’un air un peu bizarre. Il faut dire que ça fait la deuxième fois que je tamponne quelqu’un dans l’immeuble, et il n’y a que lui qui soit au courant.
Pas trop longtemps après, comme Nathalie avait besoin d’un peu de calme, j’ai foutu tout ce petit monde dehors, assez rapidement, après que chacun ait pu papoter avec elle un moment. Mais j’ai fait ça très gentiment, je te promets. Ils ont tous très bien compris.
Nathalie sait au moins qu’elle ne sera pas seule. Je lu ai proposé de rester avec elle ce soir « parce que ton canapé est super confortable, et que tu as des tas de chaînes que je n’aie pas ». Puis j’ai rajouté « en plus j’ai toujours kiffé Darkman, tu penses que je ne vais pas manquer l’occasion de passer le plus de temps possible avec ». Tu vois, je redeviens marrant comme mec !
Nathalie n’avait pas trop faim ce soir là, mais je l’ai forcée à manger. Je lui ai dit que sinon, je publierai un blog « jemappellenatahliemaisenfaitjesuisdarkman.com ».
Je lui ai fait des pommes de terre sautées à la Olivier. Elle en a mangé très peu, mais m’a dit que c’était bon.
Elle a ensuite regardé un peu la télé avec moi, puis est allée se coucher assez tôt.
J’ai zappé, et ai recherché la chaîne sur laquelle ils diffusaient « New-York – Unité Spéciale », mais je ne me souvenais plus du numéro ni du nom… Alors j’ai continué à zapper, et ai regardé un talk-show à la con. J’aime bien ça, et je déteste ça. Les animateurs sont souvent des merdeux, mais ils ont aussi souvent des invités intéressants, alors je me laisse prendre.
Puis je me suis endormi comme une larve environ 3 minutes 30 après.

Le lendemain, je me suis levé avant Nathalie, suis allé sonner à la porte de Grizzly et lui ai demandé si il pouvait s’occuper de veiller sur Nathalie, ce qu’il a accepté volontiers.
Je suis ensuite allé chez moi me changer, me doucher, ou le contraire, je crois. Puis ensuite je suis allé au boulot.
Vers midi, j’ai appelé chez Nathalie ; c’est Grizzly qui a décroché. Il m’a dit que tout allait bien. Je lui ai dit de forcer Nathalie à manger, et qu’il ne l’écoute pas si elle lui disait qu’elle n’avait pas faim.
Au magasin, il y avait pas mal de monde. Paul est passé, m’a demandé des nouvelles de Nathalie. Je lui ai dit qu’elle faisait front, mais qu’elle était fatiguée. Il m’a fait rigoler un peu, m’a dit que j’avais fait ce que j’avais à faire, qu’il n’aurait pas agit différemment, et que je ne devais vraiment pas m’inquiéter pour la suite. Ca se voit tant que ça que je suis tout de même inquiet ?
Il m’a indiqué que Ducon était sous le coup d’une mise en accusation pour « infractions mixtes », avec 3 chefs d’inculpation : « Harcèlement », « Agression », « Coups et blessures », le tout aggravé par une récidive. Je n’ai pas tout compris au système judiciaire canadien, et j’avoue qu’en entrant dans ce pays je ne m’étais pas imaginé y être confronté. Tu vois le truc, si tu imagines ce genre de choses à chaque fois que tu voyages ?
Je suis reparti en début de soirée, comme d’hab’ à la fermeture du magasin.
J’ai filé directement chez Nathalie. Grizzly était là, avec elle. Ils jouaient au Trivial Pursuit. Sans moi ?! Mon jeu préféré… Grizzly est un mec assez étonnant. Il a un physique de colosse, mais il est doux comme un agneau. Enfin je n’irais pas essayer de lui piquer son goûter, tout de même… Mais j’aime bien voir son attitude protectrice vis-à-vis de Nathalie. Il faudra bien que je rentre en France un jour, et j’ai besoin de savoir qu’elle sera bien entourée. Avec Grizzly pas loin, personne ne l’emmerdera. Sauf des suicidaires.
Nous restons tous les 3 un moment, et Grizzly repart chez lui vers 20 heures.
Physiquement, Nathalie va presque bien, mis à part son masque de Darkman. Elle me dit qu’elle pleure pas mal dans la journée, mais qu’elle a moins peur. J’ai des doutes…
Le soir, Paul est passé nous voir, parce qu’il voulait expliquer à Nathalie, de manière un peu informelle, la suite de la procédure. J’ai eu presque l’impression d’assister à un épisode de ma série bien aimée… La justice Canadienne et la justice États-Unienne ont pas mal de points communs… Ducon va d’abord passer devant un juge, sans que Nathalie ait à assister à l’audience, son baveux dira si il plaide coupable on non (va falloir qu’il ait beaucoup d’imagination tout de même), et ensuite il y aura très probablement un procès, suite à une mise en accusation. Prison ferme assurée, Paul est formel. Cela semble, enfin, être les premiers propos véritablement rassurants pour Nathalie.
Je serai bien entendu cité comme « témoin ». Paul m’a tout de suite confirmé de manière forte que me concernant, j’ai agit en situation de « légitime défense ». Pour ce qu’il m’en dit, nous sommes très proches de la définition française du truc. Je n’ai pas utilisé de moyens disproportionnés, Nathalie ayant été victime de coups et blessures volontaires, sans utilisation d’arme. J’ai fait de même. J’ai évoqué mes craintes, du fait que j’ai été entraîné aux sports de combat et membre de la Police Française. « Ca ne change rien, ça reste de la légitime défense », me rassure-t-il, voyant que je suis encore quelque peu dubitatif. Je me dis qu’il sait de quoi il parle, et puis de toute façon, Ducon se remet fort bien. Enfin je crois.
Nathalie baille un peu, mais je lui rappelle que c’est le printemps et qu’en tant que marmotte, elle doit officiellement finir d’hiberner. « Tu iras te coucher quand tu auras mangé, pas avant ». Paul nous quitte afin que Nathalie se repose un peu. Je nous fais à manger, des steacks hachés. Tu vois, je suis encore et toujours ce cordon bleu légendaire que tu as bien connu. Veinarde.
Elle regarde la télé avec moi ; elle a choisi une émission de variétés, un truc tranquille quoi. Punaise, j’aime vraiment mieux quand ils chantent, les Canadiens ! Elle part ensuite se coucher. J’attends qu’elle roupille, et file à l’appartement me changer. Va falloir que je songe à amener un kit de survie chez elle si je continue à squatter son canapé.
Je reviens ensuite chez elle, en prenant bien soin de ne pas faire de bruit avec la porte, afin qu’elle ne soit pas inquiète.
Je regarde mon avant-bras, et je me demande où est mon ange.
Allez, canapé, télé en mode sourdine, et je zappe. Je tombe sur un reportage sur le « skidoo ». Ces mecs sont complètement barrés… Il paraît qu’il y en a qui roulent à plus de 150 km/h… Enfin « roulent »… glissent, quoi. Mais ça a l’air marrant. Je réalise alors que je n’en ai toujours pas fait depuis que je suis arrivé ici, et je me dis que c’est un peu dommage.
Je m’endors en me demandant de nouveau où tu es maintenant, et j’entends dans ma tête les paroles de la chanson de Phil Barney, « Avec qui tu vis ».

Le lendemain matin, j’arrive à me réveiller tôt. Je prépare un petit déjeuner pour nous deux (Nathalie et moi, toi tu n’es pas là, bourrique). Je dois te dire que je suis super fier de moi : j’ai appris à faire des pancakes. En plus je les foire beaucoup moins que les crêpes. Faut dire aussi que c’est plus facile à retourner que ces maudites crêpes. Je file chez moi chercher du sirop d’érable (il m’a fallu 28 ans pour découvrir ce truc… C’est juste fabuleux… J’en mets même dans mes yaourts), parce que je ne sais pas où Nathalie planque le sien. Le bonhomme sur le flacon, qui ressemble furieusement à une flasque (le flacon, pas le bonhomme), me fait penser à un des potes de Jean, c’en est impressionnant. La barbe blanche en plus.
Après je prépare ce qu’il faut pour faire du thé (ça c’est pour Nathalie) et du chocolat chaud. Ben oui, je ne bois toujours pas de café. Puis je vais frapper à la porte de ma copine la marmotte. Elle me dit « 10 minutes et j’arrive ».
Comment ça ? Y a des filles qui se préparent en 10 minutes ? On m’aurait menti ? Méfiant, je ne lance pas encore les boissons chaudes…
25 minutes après, Nathalie arrive, et je lance les boissons chaudes. Elle semble plus détendue que la veille, manifestement. Pour la première fois depuis ce soir terrible, je la vois sourire vraiment. Je ne veux pas crier victoire, mais je me dis qu’avec du temps, elle va se remettre, enfin je l’espère.
Un infirmier doit passer dans la matinée pour vérifier l’état de sa blessure et lui changer le pansement. Quand il sonne à la porte, je les laisse, parce que même si je suis un type tout à fait charmant, ça fait tout de même près d’une semaine qu’elle voit ma tronche, et que donc ça lui fera un peu d’air.
Je vais chez moi, en lui disant que je reviendrai dans une heure.
En arrivant à l’appart’, je me décide à appeler Dave. J’ai besoin de parler à un ami qui me connait bien. Je lui explique ce qui s’est passé, et ça le désole. Je lui parle aussi de toi, de ce que ça m’a fait réaliser, toute cette histoire. Il tente de me rassurer ; c’est sympa de sa part, même si je sens bien que je vais devoir faire un « gros travail » sur moi dans les semaines à venir.
Puis il me parle de sa chérie ; ça y est, je sais comment elle s’appelle : Vanessa. « Ca aurait été marrant qu’elle s’appelle Vanina », lui ai-je dit. Après un temps d’arrêt, il me lance alors « T’es con tu sais ». Ben oui, je sais, ça fait 28 ans que je me connais, tu penses que je suis au courant. Ca a l’air de vraiment bien se passer. Elle a emménagé chez lui. Je lui épargne le couplet genre « Tu ne crois pas que tu t’emballes », d’une part parce que déjà je trouve ça chiant, ce genre de phrase, et puis ensuite parce que j’ai eu une révélation récente : je ne suis pas très expert en relations sentimentales, rapport à mon CV foireux dans ce domaine.
Je me dis aussi que c’est bête qu’il n’ait pas pu reprendre notre appartement « parce qu’il est tout de même plus grand que ta garçonnière ». Mais au moment où je suis parti de Cannes, il était encore célibataire endurci.
Je le quitte rassuré, parce que mon Dave, j’ai envie qu’il soit heureux. Et là, ça y ressemble fortement.
Après, je vais sur le pallier et sonne chez Grincheux. Il ouvre sa porte, et quand il me voit, il a un léger sursaut. Il me demande ce que je veux. Sans entrer chez lui, je lui explique simplement que je suis venu m’excuser pour le soir où je l’avais un peu baffé… Il m’ouvre la porte et m’invite à m’asseoir. Je suis super gêné, et je me sens merdeux. Je lui présente donc « officiellement » mes excuses, et lui dis que je n’aurais jamais du faire ça, que j’étais bourré ce soir là, malheureux etc… Bref tout le kit d’excuses qui n’en sont pas. « Et puis parfois je suis un connard impulsif ». Ca c’est déjà beaucoup plus proche d’une explication.
Il me parle un peu plus de sa vie. C’est un mec qui en a bavé. Il est comptable, pas grand monde ne le regarde au boulot ; ni ailleurs en fait. Il a été marié, puis un jour sa femme s’est barrée, et depuis il vit seul, ici. Je réalise d’autant plus la bêtise de mon acte, que je me dis que j’ai été con aussi quand il avait commencé à me parler de ça, la première fois.
Avant de partir, je me lève (remarque, c’est plus pratique pour partir) et je lui serre la main. Puis je lui dis « Écoute, ne me pose pas de question, mais mets-moi un coup de poing dans le ventre, comme ça on remettra les compteurs à 0 ». Là il me regarde, complètement interloqué… J’insiste « Si si, tu verras, ça va te faire du bien ». Et là, ben mon p’tit Grincheux, il m’a balancé un coup de poing. Dans la gueule. « J’avais dit dans le ventre… ». Et là, alors qu’il prend un air confus, je lui dis « T’inquiète, ça va m’aider à remettre mes neurones en place. Mais une prochaine fois, quand on te dit dans le ventre, évite la tête ». Et je me suis marré ; lui aussi du coup. Je viens d’inventer la beignothérapie.
Je le prends dans mes bras et lui fais une accolade en lui disant « T’as une bonne droite, mais faudra travailler la visée ». Je sors de chez lui en me disant que je vais peut-être devoir régler pas mal d’additions de ce genre. J’espère que ça ne me vaudra pas un coup de poing dans la gueule à chaque fois. Quoi que… A tout prendre, je préfère des coups de poings dans la gueule (enfin ne vas pas croire que j’aime ça tout de même), que d’avoir à affronter certaines autres choses.
Je vais ensuite chez Nathalie. Quand elle m’ouvre la porte, elle voit une trace rouge sur ma joue… « C’est rien, je suis allé régler une vieille dette ». Elle doit vraiment me prendre pour un taré… Alors que pas du tout, hein. Son infirmier est parti, et le pansement est en version plus light… « Zut alors, Darkman est parti, il a été remplacé par Scarface ». Je sais, c’est nul !
Comme il n’est pas loin de 11 heures, je pense à ce que nous allons manger. Ben oui, je suis un garçon pratique. Contrairement à Georges le Yéti, tu vois. Je propose à Nathalie d’aller manger « dehors ». Déjà parce que j’ai une furieuse envie de manger une pizza, et puis aussi parce que je me dis que ça ferait du bien à Nathalie d’aller à l’extérieur, parce que là ça fait près d’une semaine qu’elle reste presque tout le temps dans son appartement, ou à l’hosto. Note bien que c’était déjà un peu ça, sa vie, avant. Comme la mienne, sauf que moi, je ne bosse pas à l’hosto, je vends des jeans. Elle est d’accord avec cette idée formidable. Tu auras compris que, fort de mes avancées spectaculaires en matière de psychothérapie, je me suis improvisé psy. Je sais tout ce qui est bon. Pour les autres.
Avant de partir, je lui propose également de faire passer quelques copains chez moi dans l’après-midi, parce que ça lui ferait du bien de voir « du monde ». Et là encore, elle est d’accord. Je suis un génie de la thérapie, maintenant c’est un fait établi !
J’appelle « Curtis », Paul et Jean, en leur disant que cet après-midi chez moi, y a une surprise partie, avec guitare, glaces qui vont bien, tarte aux noix de pécan, partie de Trivial Pursuit et tout le toutim. Ils sont tous ok ; le RDV est donné pour 16 heures, l’heure du goûter.

Nous allons dans une petite pizzeria pas loin de chez nous. C’est un endroit sympa, un genre d’hybride entre un restau italien et un Domino’s. Tu vois le concept ?
Nathalie mange toute sa pizza, et ça, ça me fait super plaisir. Moi aussi, et ça, ça me fait super plaisir aussi. Nous nous achevons avec une glace. Le top.

Nous rentrons ensuite chez nous. Enfin chez elle quoi, mais c’est à côté de chez moi, donc c’est chez nous. Et non, je ne vais pas habiter chez Nathalie !
Après l’avoir raccompagnée, je laisse Nathalie se détendre un peu, et je vais chez moi. J’ai encore un peu de temps avant que les potes n’arrivent. J’en profite pour faire un peu de ménage, parce que l’air de rien, ça fait près d’une semaine que je n’ai pas fait quoi que ce soit. Le linge, je m’en occuperai plus tard. Mais le bordel, ça ne peut pas attendre.
Curtis est le premier à arriver. Il vient seul. Je vais alors chercher Nathalie, et l’emmène chez moi. Elle n’avait jamais vu Curtis (je prends le soin de le présenter avec son vrai prénom… Mon habitude de coller des sobriquets à tout le monde fait que parfois je m’emmêle, comme quand j’avais appelé ta mère « Cruella », une fois, en me gourant). Ces deux là échangent des regards bizarres je trouve…
Peu après, Paul et Jean arrivent. Paul est venu avec son « copain », un mec charmant – Thierry – auquel je n’ai pas encore trouvé un sobriquet, mais j’y travaille. Je propose les boissons, et puis je sors mon Trivial Pursuit. Ca ne m’a pas passé, ce jeu. J’aime bien parce que je trouve pas mal de réponses, et ça me permet de « briller », l’espace d’une partie. Je sais que toi ça t’énervait un peu parfois, même si nous nous sommes payés des gros fous rires en y jouant avec Dave et d’autres amis. J’aimais bien jouer avec Dave, parce que c’est un mec qui sait plein de trucs, et c’est vrai que j’en faisais trop parfois. Je crois que c’est parce que je traînais des complexes, rapport à tes parents, qui, il faut le dire, ne me ménageaient pas au sujet de mon manque d’ambition.
La partie se passe bien. Nous avons fait 3 équipes : Nathalie et Curtis, Jean et Thierry, puis Paul et moi. D’ailleurs nous avons gagné. Mais les deux autres équipes ont bien tiré leur épingle du jeu, ça c’est joué à pas grand-chose.
Après, j’ai sorti les gâteaux, cacahuètes et autres réjouissances.
J’ai alors pris ma guitare et joué un ou deux trucs, en chantant, pas trop mal d’ailleurs. Puis j’ai tendu ma guitare à Curtis, parce que j’adore quand il joue. Il nous a fait plusieurs morceaux de blues, puis quelques rocks. L’ambiance était super sympa, et j’ai vu que Nathalie se détendait.
A un moment, Curtis lui a demandé si il y avait une chanson qui lui plaisait en particulier. Elle lui a demandé si il connaissait « Wild Horses » des Stones. Et c’était le cas, c’est une chanson qu’il adore. Nous avons tous assisté à un moment de magie. Curtis, c’est un tueur à la gratte. J’ai chanté avec lui, sur le refrain, et ça a pas mal fonctionné du tout.
J’ai vu de plus en plus de regards entre Nathalie et Curtis, et j’ai senti un truc qui se passait, tu vois. Un truc bien, un truc beau. Ca m’a étonné dans le contexte, mais je pense que Nathalie est en confiance avec mes amis. Et Curtis, il est genre « rassurant ». Avec vraiment une belle gueule, comme je t’ai déjà dit.
Quand l’heure du dîner est arrivée, j’ai proposé une « spaghetti party », et ça a branché tout le monde. Ca a été un dîner très agréable, avec des rires, et une Nathalie curieusement reboostée.
Tout le monde est reparti vers 22 heures. Nathalie et Curtis ont échangé des bises fort appuyées, et franchement, je n’en reviens toujours pas.
Ca a été une belle journée, entre amis.
Nathalie est rentrée chez elle. Je lui ai demandé si elle voulait que je vienne dormir sur mon nouveau copain le canapé, et elle m’a dit que non. Même si j’adore son canapé, et que j’avoue que ça m’a fait un peu de bien de veiller sur elle, je suis content qu’elle m’ait dit ça, parce que ça veut dire qu’elle veut déjà se réapproprier sa vie. Par contre, je lui ai dit que je l’amènerai au boulot demain soir (apparemment, elle n’a pas voulu être arrêtée ni prendre de congés, je te le dis, c’est une guerrière cette petite), et que ça n’était pas négociable.
J'ai ensuite retrouvé mon canapé à moi. J’ai aussi ressorti ma peluche de Tigrou. Ben oui, celle que tu m’avais offerte. Je l’ai gardée, tu vois, parce que c’est un cadeau de toi, simple mais plein de symboles. Je lui ai dit que je revenais vivre ici. Je crois qu’il a sourit. Tu vois, il y a des gens auxquels je manque quand même, quand ils ne me voient pas.
J’ai allumé la télé (on ne commente pas STP…) et ai zappé (chut…). Comme il n’y avait rien de terrible, je suis allé me doucher et me changer. Puis j’ai pris ma gratte, et… ben j’ai gratté quoi. Doucement, rapport à l’heure. J’ai plus bossé mes arpèges que fait le furieux, tout en regardant, sans vraiment la regarder, la télé. Ca m’a donné envie de jouer « The Sound of Silence », de Simon & Garfunkel. Ils ont écrit ça, enfin surtout Paul, il y a près de 40 ans, et c’était très visionnaire, parce qu’aujourd’hui, nous avons toujours les « Dieux de néons », puis plein de gadgets, mais c’est difficile de communiquer vraiment.
Puis il y a ton silence, aussi.
A un moment j’ai entendu un appel de Morphée, et comme c’est un mec convainquant, j’ai posé ma gratte et me suis mis en position du tireur couché, direction dodoland.
Je me relève, le temps de t'écrire ce message, juste après.

Bonne nuit ma chérie.

Olivier
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Message  HannibalaTor Sam 26 Jan - 17:33

Gatineau, Province de l’Outaouais, 10 Avril 2012.

France chérie,

Voilà que je romps de nouveau mon rythme de me correspondance du Jeudi…
Que veux-tu, ma vie devient trépidante. Sans toi, malheureusement. Pour moi.

Lundi, journée boulot RAS + appel à Nathalie, qui semble aller bien. L’infirmier est passé lui changer son pansement et lui faire ses soins.
Le soir, je suis rentré à l’appart’. Juste avant d’aller chez moi, je suis allé sonner chez Nathalie, qui semblait effectivement aller bien. Je lui ai rappelé que ce soir c’est moi qui l’amenais au boulot : « Fais-toi belle, Scarface, je t’emmène au bal ce soir ! ».
Puis je suis allé dans mon appart’. Tigrou avait encore sifflé une bière… Quel filou celui-là. Je lui ai tout de même fait un bibi. Et du coup j’en ai pris une moi aussi, de bière ; faudrait voir à ce qu’il ne prenne pas d’avance.
J’ai ensuite allumé la télé et ai pris ma gratte. J’avais besoin de jouer, et je suis content d’avoir fait des arpèges la veille, parce que à la base je suis tout de même une grosse feignasse, et que je ne les bosse pas assez souvent. J’en ai refait un peu, j’ai « bossé mes gammes ». Puis après, j’ai joué « Baby Can I Love Hold You », de Tracy Chapman. J’adore cette chanson, depuis toujours. C’est à ma portée niveau guitare, et j’aime beaucoup la chanter. Comme il faut mettre un peu de watts dans la voix, je profite de cette heure pas tardive pour m’en donner à cœur joie. Ca fait du bien.
Ensuite j’ai passé un coup de fil à Dave. Il roucoule comme une colombe, avec Vanina-Vanessa. Je lui ai dit qu’il avait intérêt à m’inviter si ils se mariaient un jour. Il m’a dit « Ok, mais tu promets de ne pas chanter de chanson paillarde »… Comme si c’était mon genre… « Ouais, je te le promets sur la tête de Ducon ».
Parlant de Ducon, Paul m’a prévenu, ainsi que Nathalie, que le procès se tenait demain Mardi ; ça n’a pas traîné. En Amérique du Nord, ça ne rigole pas avec les violences contre les personnes. Je suis convoqué également.
Après, je suis allé chercher Nathalie, et je l’ai emmenée au travail. Elle a retrouvé ses collègues, et elle a foncé droit dans le job. Ma p’tite guerrière. A cet instant là, je me fais penser à Mushu dans « Mulan », quand il dit un truc comme ça...
Je rentre ensuite chez moi, pour retrouver Tigrou. J’ai pas envie qu’il siffle encore une bière. Faut le surveiller celui-là, j’te jure…

Je m’aperçois qu’il est encore temps d’aller au cours de self-défense. Je prends mon sac vite fait, et file au club. J'arrive un peu à la bourre, tout de même.
Là-bas, je retrouve ma bande de potes. Dans le vestiaire, des mecs viennent me voir et me serrent la main en me disant « Bravo mec, on a appris ce que t’as fait, t’as bien fait ». Ouais… Sûrement.
Je travaille avec Paul durant la plus grande partie du cours ; ce soir là, il y a Curtis. Il ne vient pas souvent à la self. J’ai un peu travaillé avec lui ; il est raide, mais il pige vite les enchaînements. Je ne peux m’empêcher de me demander si ce mec n’aurait pas, par hasard, tous les talents.
A la fin du cours, nous allons nous doucher et puis nous rhabiller. Curtis est venu me voir discrètement, et il m’a demandé le numéro de téléphone de Nathalie. Il était trop touchant, on aurait dit un ado qui vient voir un pote et lui demande de lui arranger un rencart avec une fille que tu connais, et qu’il n’ose pas aborder. Je lui dis que je dois lui demander avant… Ok, ça ruinera l’effet de surprise… Et c’est malheureusement le but. Je pense que le téléphone, pour le moment, ça risque de la faire flipper un peu. Curtis comprend très bien.
Je rentre chez moi. Je suis un peu tendu pour le lendemain. Je pense à Nathalie, qui ne m’en a rien dit, mais qui doit tout de même bien appréhender. Et puis aussi qu’il va encore falloir que je demande une demi-journée au moins à Jean…
Je me fais un vague plat de nouilles à réchauffer au micro-ondes. C’est pas terrible, mais c’est pas dégueu non plus. En fait si, c’est franchement pas bon ! Mais c’est rapide à faire, et ce soir, j’ai une flemme de couleuvre (les pauvres bêtes… On les traite de feignasses alors qu’elles sont juste économes de leurs efforts).
Puis je me déshabille et saute sur le canapé, avec une élégance qui rendrait jaloux un danseur étoile. Ok, en clair, je me vautre comme une larve. Télécommande / allumage de la berceuse / zapping / dodo. Je souhaite bonne nuit à Tigrou, juste avant.
Je me demande ce que tu fais, à ce moment là.
Demain, Ducon passe en jugement. Nathalie le reverra pour la première fois.

J’ai mal dormi cette nuit. Je me souviens de quelques uns de mes rêves. En fait, parfois tu as du mal à savoir si tu as fait plusieurs rêves, ou bien si au sein d’un même rêve, il y a eu des « évolutions », des « rebonds », qui font que tu vis plein de séquences pas forcément très raccords. J’ai rêvé d’un tribunal, tu étais la « victime » et moi l’accusé… Puis après, en fait, c’était Nathalie la victime, et Ducon l’accusé. Conscience, inconscience. Bordel dans ma tête.
Je me douche et me rase, histoire d’avoir une gueule à peu près nette.
Je sors mon costard de la valise. Impossible de fermer le pantalon. La lose. La veste me va encore, alors je vais faire un 50/50 : veste de costard et jean. Façon présentateur du journal télévisé.
Un collègue de Paul vient nous chercher, Nathalie et moi, vers 9 heures. La convocation est pour 10 heures. Nous arrivons un peu en avance. J’appréhende le moment où Nathalie va revoir Ducon.
Nous entrons dans la salle. C’est la première fois que je rentre dans un tribunal, dans ces circonstances. Ca fait bizarre.
Quand Ducon apparaît, il a l’air moins arrogant que les premières fois que je l’ai vu. Comme quoi, tu vois, la beignothérapie, quand c’est bien utilisé, ça peut avoir des effets positifs. Son avocat plaide coupable.
Nathalie a bien tenu le choc. Elle a témoigné, moi aussi, les médecins également, puis les officiers ayant pris les dépositions, ainsi que les secouristes venus sur place. Le juge étudie différentes pièces, il a son propre dossier.
A un moment, quand Ducon a parlé, il a tourné son regard glauque vers l'assistance. Défiant Nathalie, alors que jusque là, il baissait la tête. C’est un pervers simulateur. Un faux repentant, quoi. Ca n’a pas échappé aux jurés. Je l’ai fixé du regard, et je crois que je lui ai délivré un message, subliminal, qu’il a pourtant perçu.
Le juge a rendu ses « conclusions », il accède à 100% aux demandes du procureur, à savoir 8 ans fermes, avec un représentant du bureau du procureur, qui a bien insisté sur le fait que Ducon représentait un danger pour la société.
Le jury se retire. Leur délibération semble longue, parce qu’attendre, c’est toujours trop long.
Quand nous sommes rappelés dans la salle, le président reçoit un bout de papier, avec la décision du jury. Elle est unanime : coupable.
La peine de 8 ans de prison est donc prononcée. Ducon ne fera pas appel.
Nous ressortons du tribunal. Nathalie semble « soulagée », car maintenant, elle l’a vu, Ducon sera loin d’elle.

Paul nous rejoint et nous explique les « coulisses », à hauteur de ce qu’il peut nous dire. Il nous explique que lors de l’audience à huis clos, l’avocat de Ducon a voulu la faire à l’envers en déposant plainte contre moi, pour « agression » et « coups et blessures ». Il s’est fait renvoyer dans ses 22 par le juge qui lui a sorti les différentes dépositions, ainsi que ses antécédents et peines afférentes. Ca a fini en une proposition de peine de 8 ans fermes, avec conseil « appuyé » pour plaider coupable. D’autant que, Paul me l’apprend, Ducon a aggravé son cas lorsqu’il a été embarqué au commissariat le soir du drame, ayant proféré des menaces à mon encontre, devant des officiers de police. D’où l’ajout – que j’avais noté – d’un quatrième chef d’inculpation : « voies de fait ». Ca a fait lourd au bout du compte.
Je ne sais pas trop si il a le droit de nous dire tout ça, mais en tout état de cause, ça a soulagé Nathalie, je crois.

Paul nous raccompagne. Il est 14 heures et des brouettes. Ca a fait une demi-journée assez longue, en fait.
Il nous dépose en bas de l’immeuble. Je raccompagne Nathalie chez elle. Je la sens véritablement « soulagée » par la décision qui vient d’être prise. Je profite de cette accalmie, afin de lui dire que Curtis – que je n’ai jamais vu comme ça – m’a demandé son numéro de téléphone. Elle sourit. Je n’insiste pas et la laisse se reposer.
Je file ensuite me changer en mode express, histoire d’aller bosser un brin chez mon employeur certes très compréhensif, mais que je vais finir par embrasser si je manque autant de journées ou demi-journées.

A l’arrivée au magasin, alors que je commence à lui parler de l’issue du procès, il me dit « je sais ». Ben oui, forcément. Le téléphone, ça existe, et Paul a du le prévenir…
Il y a eu pas mal de monde en fin d’après-midi. Les beaux jours arrivent, et nos chers concitoyens ont besoin de fringues. Ca tombe bien, c’est notre métier.
Parfois, quand il y a du monde dans notre rue, mais pas trop dans le magasin, il m’arrive de sortir et de faire comme les maraîchers : « Ils sont beaux nos jeans, elles sont superbes nos chemises, elles reluisent nos belles bottes ». Ca fait halluciner certains passants, sourire d’autres, et carrément marrer Jean. En plus, parfois ça marche. Si ça se trouve, j’ai manqué ma vocation. A la fermeture du magasin, je me prends une superbe veste en jean que j’ai repérée depuis pas mal de temps ; j'ai de bons prix, je ne vais pas me priver. Je prends aussi une chemise à carreaux, mais taille S. Je te confirme, ça n’est pas pour moi.
En rentrant dans l’immeuble, je vais sonner chez Nathalie. Je lui tends un sac, avec la chemise à carreaux dedans. Elle ouvre le sac et découvre ce vêtement un peu incongru, accompagné d’un petit mot :
« Ma chérie (j’ai passé une semaine ou presque chez toi, je peux me permettre !),
Te voici maintenant officiellement membre honorifique de notre confrérie, à Paul, Michael / « Curtis », Jean et moi. Tu es désormais autorisée à venir jouer au billard avec nous. Mais pour cela, il te fallait une tenue appropriée : la chemise à carreaux. Maintenant que c’est fait, je t’invite à nous rejoindre Samedi soir à l’Élégance, notre repaire, à deux pas de la Rivière du Lièvre.
Port de la barbe apprécié, mais pas obligatoire. Tu auras même le droit de boire une bière.
Je t’embrasse,
Olivier »
Nathalie a rit, et m’a dit « vendu ». Ce faisant, elle a pris une petite enveloppe, avec « Michael » écrit dessus, me demandant de la lui remettre. Punaise, ça y est, j’ai envie de l’ouvrir…
Je laisse ensuite Nathalie se préparer, car elle ne va pas tarder à partir au travail, et je regagne mon appart’.
Tigrou m’attend sagement, et je suis fier de lui car il n’a pas picolé aujourd’hui. Ou alors il a pensé à jeter la bouteille, ce qui veut dire qu’il est en train d’apprendre les bonnes manières. Comme moi quoi.
Je me prends un goûter, un poil tardif, parce que je suis en pleine croissance et qu’il me faut des forces. A mon âge, il ne s’agit que d’une croissance de ma conscience de certaines choses, mais voilà, c’est une croissance comme une autre. Puis bon, j’ai envie d’un goûter quoi. Ca me rappelle les chocolats chauds que nous nous faisions en hiver. Cette pensée me fait sourire.
Dans l’après-midi, j’ai appelé Woody Allen, parce que j’ai besoin d’une grosse révision du cerveau. Je le vois demain. Ca y est, j’ai mes entrées chez lui !
Je prends un petit livre marrant que m’a offert Dave avant que je ne vienne ici. C’est rigolo, ça s’appelle « Bouddhisme pour les Ours ». Tu as des préceptes Bouddhistes illustrés avec des ours, qui ont l’air un peu balourd. Chut, pas de commentaire STP… Je feuillette quelques pages, et pense à mes potes du club. J’ai l’impression d’en reconnaître certains. Il faudra que je regarde si ils ont aussi sorti « Bouddhisme pour les Loups ».
Je prends mon téléphone et appelle Curtis. En fait j’ai super envie de savoir ce que Nathalie lui a écrit ! Curtis me répond. Il sort tu garage dans lequel il est mécano. Je me dis parfois que c’est dommage qu’il mette du cambouis sur ses mains, alors qu’il pourrait certainement les garder propres en gagnant sa vie comme guitariste / chanteur. En même temps, quand j’ai des soucis mécaniques sur ma bagnole, je suis bien content d’avoir un copain mécano. Je lui propose de passer ce soir, si il ne fait rien de particulier ; il accepte et me dit qu’il passera dans la soirée. « Amène des pizzas alors, j’ai la dalle ». Oui, je reste un grand amateur de pizzas. Une vraie « Tortue Ninja » !
Je me colle sur le canapé et allume la télé. Tigrou me regarde, enfin je crois, et a l’air de penser que je passe beaucoup de temps devant. « Dis donc mon pote, je ne te demande pas ce que tu fais dans la journée, moi ». Il faut savoir remettre en place ses amis parfois.
Curtis arrive plus tard dans la soirée, avec 2 pizzas fumantes. Comme je suis un type serviable, je le débarrasse et les pose sur le « bar » de la cuisine, et puis l’embrasse. Je vais nous chercher 2 bières dans le frigo, et je sors deux paires de couverts. Nous discutons et nous installons sur la table/bar. Tout en mangeant et en parlant de tout et de rien, il finit par me dire (le malin) :
- « Dis-moi au fait, pourquoi m’as-tu demandé de passer ce soir ? »
- J’avais envie de te donner un cours de guitare, parce que franchement, tu as du mal… »
- « … »
- « Ou alors j’ai un truc pour toi… »
Je lui prends alors la petite enveloppe que m’avait tendue Nathalie. Il l’ouvre comme un gamin qui vient de trouver ses cadeaux au pied du sapin (on dirait moi quand j’ouvre les cartons de livraison au magasin, mais avec un air carrément plus impatient). Il lit le petit mot qui est dedans, il sourit, avec sa belle gueule, remet le mot dans l’enveloppe et la met dans sa poche, avec un air béat. Punaise, il ne me dit rien, ce sagouin…
- « Alors ? », lui dis-je…
- « Super bonne la pizza, tu as eu une très bonne idée ! »
- « Andouille… »
Il se marre et complète :
- « Nathalie m’a donné son numéro de téléphone… et écrit des trucs qui ne te regardent pas, misérable petit curieux. »
Moi curieux ?! Pffffffff…
Je termine ma bière et lui propose une sortie billard pour Vendredi à venir. Il est partant. Tu penses, il doit déjà imaginer Nathalie avec sa chemise à carreaux !
Après, nous discutons un moment ; nous parlons sport, musique. Je lui redis qu’il a un talent réel, et qu’il pourrait sans doute creuser ça. Il sourit. Je ne sais pas ce que ça veut dire… Est-ce qu’il va y réfléchir, est-ce que dans une « autre vie » il a été une super vedette… Je n’en sais rien.
Comme il doit commencer tôt le lendemain, il me quitte, pas trop tard. On dirait qu’il flotte quand il marche, et il a encore son sourire béat.
Je jette les cadavres de nos pizzas, lave les couverts et met les bouteilles de bière dans mon sac à « verre à recycler ».
Je vais allumer mon PC portable, acheté ici à vil prix, et consulte mes mails. Patrick m’en a envoyé un. Nous continuons à nous écrire, assez souvent, et je l’ai même appelé une ou deux fois. Il reste un fidèle ami, toujours présent. Il habite encore près de Paris, là où je l’avais connu, quand j’ai fait ma première année au sein de la police, après ma sortie de l’école de « Gardiens de la paix ». Il est retourné travailler chez sa patronne cinglée, après avoir eu une mauvaise expérience ailleurs. Aujourd’hui, il m’a envoyé un lien d’une vidéo sur Youtube, avec un passage rigolo, me dit-il, de Fabrice Lucchini à la télé. « Ca va te plaire ». Je doute un peu, parce que Lucchini, même si je lui trouve beaucoup de talent, il m’agace. J’ai l’impression qu’il fait toujours le même numéro.
Malgré ma réserve, je regarde la vidéo. Il avait raison Patrick, il a fait un truc phénoménal en se foutant copieusement des « vendeurs de bons sentiments politico-sociaux » du show-biz. Punaise, quel numéro énorme. Après, tu sais comment ça se passe quand tu regardes des vidéos… Tu en as d’autres qui sont associées, tu cliques dessus…
J’ai passé deux heures à regarder des vidéos de lui, et j’ai l’impression de mieux connaître le bonhomme maintenant. Il est beaucoup moins prétentieux que je ne le pensais, finalement. Voire pas du tout. C’est un grand timide, qui se soigne en faisant des sorties exubérantes.
Parmi les vidéos, j’en ai vu une qui m’a vraiment retourné. Il était alors l’invité de Mireille Dumas, et a parlé du « couple ». Un truc bouleversant. Il expliquait qu’il n’avait jamais vécu en couple, et qu’il redoutait cela, en gros. Sans forcément dire que tous les couples, c’est de la merde. Bon ok, il a fait du Lucchini et a dit des trucs franchement désopilants, avec un peu d’acide, sur des couples qu’il a pu connaître ou croiser. Mais à un moment, il a lâché un truc qui m’a fait l’impression d’un missile. Je te la fais courte : en gros, il a dit que si l’idée du couple le rebutait, c’était notamment parce qu’il trouvait que ça revenait souvent à partager sa névrose avec l’autre, ou ses misères, et qu’au final c’était destructeur. Ca m’a fait l’effet d’une claque, ça, tu vois. Parce que depuis toi, c’est vrai que je ne parviens plus à m’imaginer partageant ma vie avec une femme. C’est pas que ça ne me manque pas, loin de là. Mais c’est vrai, en fait il a mis les mots sur ce qui m’angoisse, en fait. Et maintenant, je comprends ce qui me freine.
Ca n’est pas que je ne crois plus dans le « couple ». C’est juste que je n’y crois plus vraiment pour moi. En fait, j’ai le même rapport avec la religion : je n’y crois pas vraiment, mais j’espère. Sans y croire, quoi. Mais j'aime l'idée qui consiste à penser que ça existe peut-être.
L’idéal serait qu’un couple soit formé de deux personnes déjà guéries. Ou alors il y en a un qui trinque, forcément. Parfois les deux. Ou encore, il faut qu’il y ait un « saint » parmi les deux. Nous concernant, je regarde tout cela avec du recul, et je me dis que moi, j’étais – je suis, soyons lucides – névrosé ou un truc du genre, et toi je te pompais ta beauté, ta douceur. Sans jamais tenter de te soigner de tes propres blessures. Enfin pas assez, ou alors je l’ai fait à un moment… Puis avec le temps, je me suis renfermé sur moi, et je ne te disais plus ce qui me rongeait, à toi, qui a été – autant que mon amante – ma meilleure amie, ma confidente.

Ca m’a vachement chamboulé, ce truc. En même temps, je lui suis reconnaissant d’avoir mis les mots sur mes maux. Souvent, dans la vie, on se croit « seul » à ressentir certaines choses. Nous ne sommes pas seuls, nous sommes juste ignorants de l’autre, en fait. Qui lui aussi, peut vivre exactement les mêmes choses que toi, mais nous n’en parlons pas, voilà tout. Tu vois, c’est encore « The Sound of Silence », finalement.

Sinon, Patrick m’a un peu parlé de lui. C’est toujours l’enfer côté santé. Putain de maladie. Le traitement fait survivre les malades. Survivre, parce que c’est bien le mot. Maintenant, il a du diabète, du cholestérol, ses muscles fondent. Enfin tu vois l’enfer, quoi.
J’envoie un mail à Patrick pour lui dire que j’ai bien aimé ce qu’il m’a envoyé, lui donner quelques news, et puis lui dire que je reviens bientôt en France.
Car ça, c’est décidé.

Je t’écris ces quelques lignes, puis je t’écrirai de nouveau demain ou après-demain.

Après cela, je vais m’allonger. La télé est encore allumée. Ca tombe bien, j’ai besoin de ma berceuse. Tigrou dort déjà.

Bonne nuit, ma chérie,

Olivier
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Message  HannibalaTor Dim 27 Jan - 23:22

Gatineau, Province de l’Outaouais, 12 Avril 2012.

France chérie,

Ce soir, j’ai RDV avec Woody Allen. Ca va être long, je le sens. Il va falloir lâcher des trucs que je retiens depuis trop longtemps, je pense.

Ce matin, je suis plutôt en forme, cela dit. Je me suis réveillé assez tôt, n’ai pas fait de cauchemar (ou alors je ne m’en souviens pas) et Tigrou n’a pas picolé durant la nuit.
J’ai pas mal de temps, de ce fait, pour me préparer.
J’en profite pour aller courir une demi-heure, parce que j’ai profité de la douceur de ce printemps pour m’y remettre.
Au retour, je file me doucher et m’habiller, puis je prends mon petit déjeuner, en feuilletant de nouveau le livre « Bouddhisme pour les Ours ». C’est intéressant, ces préceptes. J’apprécie d’autant plus qu’il s’agit de « conseils », d’une ligne de conduite à suivre, mais pas de « commandements », avec des interdits et du jugement. Tu as le droit de choisir ta route, on te dit juste comment mieux l’arpenter, mais tu n’as pas de panneaux de sens interdit partout.
Je me demande quelle direction ma vie va prendre dans les prochaines semaines. La seule indication à peu près « certaine » que j’aie, c’est que je vais rentrer en France bientôt.
Je file ensuite au travail. J’ai voulu sonner chez Nathalie pour savoir comment elle allait, mais elle doit dormir, vu qu’elle a du rentrer il y a une heure à peine. Il faut qu’elle reprenne sa vie « normale », son rythme, parce qu’il a été totalement inversé ces derniers jours.
Aujourd’hui, nous sommes Mercredi. Je te dirais bien que c’est le « jour des enfants », mais ici, il n’en est rien. Les mioches bossent aussi le Mercredi. Bien fait ! Par contre ils ont des journées cool, ils finissent assez tôt, en milieu d’après-midi en général. Puis ils ont leurs week-ends. En fait, j’ai l’impression que les petits Canadiens sont entraînés dès leur plus jeune âge à devenir des vieux Canadiens. Avec pour seules vacances « longues » celles de Noël et d’été. Mais ça reste globalement moins riche en vacances que ça ne l’est en France. Le lobby des profs doit être moins puissant ici, ou plus responsable.
J’arrive assez tôt au magasin. Jean me demande si je suis tombé du lit…
- « Euh non… Ca devait rouler mieux que d’habitude… »
- « Mais tu es à 10 minutes du magasin, en voiture ! »
- « Ok, je suis tombé du lit… »
Je suis venu avec ma nouvelle veste en jean. Je l’adore. Elle est doublée à l’intérieur. C’est appréciable, mais en ce moment, ça ne l’est que le soir, parce que dans la journée, il fait bon. Mais que veux-tu, elle est super belle. Ca me rappelle celle que Rebecca m’avait offerte… Et de penser ça me fait également penser qu’il faut que je l’appelle, parce que là ça fait 6 mois que je suis un père totalement absent… Mon petit bonhomme, il a bientôt 4 ans, et je ne m’occupe pas assez de lui. Alors c’est vrai que, même en France, il y avait la distance. Mais ça, c’est autant une réalité qu’une mauvaise excuse. Encore une casserole à mes fesses… C’est décidé, ce soir je les appelle. J’en profiterai pour demander ce qu’il lui faut comme taille de vêtements, parce que je m’aperçois que même ça, je ne le sais pas. Putain…
J’ai besoin de faire le clown aujourd’hui, alors je dis à Jean que vers midi, quand il y aura un peu plus de monde dans les rues, je vais reprendre mon désormais fameux numéro de bateleur de foire.
D’ici là, nous allons faire du commerce standard. Nous devons avoir une livraison de matin, alors je suis content.
Le livreur arrive vers 10 heures. Jean l’engueule gentiment, parce qu’il devait être là à 8 heures 30… Mais enfin il reste correct avec le livreur. Il lui dit juste que si les retards, ça arrive, le téléphone, ça existe. Bien dit chef !
Nous déballons les cartons avec Patricia dans l’arrière-boutique, pendant que Jean tient la boutique à proprement parler. Y a encore tout plein de belles choses. Je crois que je suis en train de devenir accroc à ce job. Nous scannons les articles un par un, précautionneusement. Malgré tout, cela ne nous prend pas plus 10 minutes. Il faut dire qu’avec Patricia, nous sommes devenus un duo super performant, passé maître dans la manipulation habile de la douchette code-barres. Le compte est bon. « Le compte est bon chef, tu peux libérer Robert ». Oui, tu vois, ça non plus ça n’a pas changé. J’appelle les mecs que je ne connais pas « Robert », encore et toujours. Jean libère le « Robert » du jour. Normalement, on ne les séquestre pas systématiquement, mais comme je te l’ai déjà dit, il y a eu quelques boulettes à répétition ces derniers temps, et Jean en a marre de devoir se battre avec le fournisseur.
Ensuite, nous rangeons nos jolies marchandises du jour. Une partie dans le stock, une partie dans le magasin. Je me sens comme un entraîneur de foot parfois : en vitrine et sur le linéaire, je fais « tourner l’effectif ». Il faut faire du neuf avec du vieux, parfois… Et là, en plus, nous avons quelques véritables nouveautés. Alors nous nous en donnons à cœur joie. Là je ne peux m’empêcher de me demander ce que penseraient mes anciens collègues de la BAC si il me voyaient aligner des jeans, des chemises et autres vêtements dans les rayonnages, et sur des mannequins. Et ça me fait marrer, cette idée.
Puis, vers midi, je suis sorti faire mon « show » pendant quelques minutes. Ca nous a amené un peu de monde, et ça nous a bien fait rire. Mission accomplie.
Après, pause « miam ».
Dans l’après-midi, RAS.
A la fermeture du magasin, je suis parti directement chez Woody Allen. Il avait accepté un RDV « d’urgence », et me l’avait collé en début de soirée. Je suis assez tendu.
La séance a été à la fois éprouvante, et libératrice. J’ai tout lâché, ou presque.
Je lui ai parlé de mes complexes par rapport à ma situation professionnelle, de ce que j’avais vécu comme des échecs, tes parents – surtout ta dinde de mère – avaient d’ailleurs bien contribué à ça. D’ailleurs c’en était clairement, des échecs. Je lui ai parlé de mon entrée manquée au RAID, mon rêve. En lui parlant de ça, puis en remuant ces histoires de violence exacerbée, j’ai alors réalisé que c’est sur la partie « psychologique » des tests que ça avait très probablement coincé. Les mecs du RAID, ce ne sont surtout pas des cow-boys. Certes, ils sont entraînés – surentraînés diraient ces nigauds de journalistes, amateurs de formules toutes faites, genre tu peux être trop entraîné, tu vois – à aller jusqu’au bout, incluant le fait de « tuer » en cas d’ultime recours. Mais l’essentiel de leur job, c’est d’éviter ça justement, et de protéger les gens, tout en tentant d’éviter le pire. Ils y sont préparés, mais ça n’est vraiment pas leur trip. Ce sont des mecs bien dans leur tête, pas reptiliens, cérébralement parlant. Et je pense que le psychologue qui m’avait reçu avait décelé en moi des pulsions violentes qui me rendaient finalement inapte, malgré ce que je tenais pour mes très bonnes aptitudes (sport de combat, sport en général, tir…). Le problème, c’est que quand ça coince au niveau psy, ils ne te le disent pas, que c’est à cause de ça. A l’époque, j’avais crié à l’injustice, pensé que c’étaient des cons de laisser passer une perle comme moi… Tu parles.
Après je lui ai parlé des trucs durs que j’avais vécus à la BAC. C’est vrai que je ne te parlais pas « boutique » une fois que j’y étais, parce que j’avais envie de te protéger de toute cette merde… J’ai bien raté, finalement. Je suis arrivé à lui parler de la mort de Pascal. Je t’en avais parlé vite fait, à ce moment là, parce que ça avait fait un peu de bruit dans les « journaux ». Une intervention dangereuse, après un braquage. Des mecs complètement barrés. Nous avions fini par les coincer, avec deux équipes. Pascal s’est fait flinguer presque sous mes yeux, et ça m’a traumatisé ce truc. C’est vrai que ce risque fait partie du job, mais là comme ailleurs, il y a une différence entre les statistiques, la théorie, et perdre un collègue, un pote. Je t’avais caché cette partie là, je ne t’avais pas dit que j’y étais. J’ai voulu assumer seul, et j’ai eu tort. Quoi que je n’en sais rien.
Ensuite, je lui ai parlé de ma démission des effectifs de la Police Nationale, et de mon job comme agent de sécurité, de jour, parce que moi qui avais longtemps été un oiseau de nuit, je n’en pouvais plus de cette ambiance glauque. Je lui ai aussi parlé de ce que ça avait représenté pour moi, c'est-à-dire un nouvel échec, tout simplement parce que déjà à l’époque, j’avais réalisé que je fuyais des trucs que je ne parvenais plus à supporter ou à assumer.
Puis après, Woody Allen a un peu gratté vers l’enfance. La source, en somme.
Là je lui ai parlé du petit mec que j’étais quand j’allais en colo, des « grands » qui me dérouillaient, de ce mono sadique qui laissait faire, et que je détestais. Je m’étais juré que ça ne m’arriverait plus jamais, et c’est pour ça que j’ai commencé le karaté à la rentrée d’après, et me suis plongé de manière plus qu’assidue dans les arts-martiaux et les sports de combat.
C’est là que j’ai craqué. Avoir revu la mort de Pascal, les autres saloperies que j’avais également vues, puis de trouver la genèse de mes pulsions violentes… Ca m’a foutu un coup.
Mais en fait, ça m’a fait du bien. Ce n’est pas d’être malade, le plus grave. C’est de ne pas le savoir, je crois.
A la fin, Woody Allen m’a dit que j’avais besoin d’une « thérapie », parce que j’avais un profil « violent » (sans déconner…) et qu’il serait bon que j’aille dans un truc genre « thérapie de groupe ». A ce moment là, je me suis marré, parce que j’ai repensé à ce film de Steven Seagal, celui dans lequel il va justement dans un groupe de genre, parce qu’il a été diagnostiqué comme violent compulsif. Cette image m’a vraiment fait rire. J’adore ce film. Notamment les séquences avec ce groupe de parole, et l’animateur de télé complètement taré.
Là, Woody m’a aussi dit que j’étais dépressif. Ben ça en fait, comment dire… Je m’en doutais vaguement quoi. Il a voulu me prescrire des médocs à la con, je lui ai dit qu’il fallait oublier ça. J’ai déjà laissé de côté ma fierté pour pouvoir laisser un mec triturer à distance mon cerveau, et lui lâcher des trucs qui m’ont fait jouer à « Jean qui rit, Jean qui pleure » (ça a du bien l’aider pour diagnostiquer mon côté dépressif, quand j’y repense), alors je n’allais pas laisser des chimistes à la con me lobotomiser. J’irai faire une thérapie, et c’est basta. Ma chimie, ce sera mon cerveau et cette improbable conscience qui s’en chargeront.
Il m’a aussi dit que j’étais en quête de « rédemption ». Tu m’étonnes…
Avant de partir, je l’ai remercié. Ben oui… Et je lui ai présenté mes excuses pour l’avoir traité de crétin, les deux premières fois. Il n’a rien laissé transpirer, mais je suis sûr que ça lui a fait plaisir. Quoi que, je me demande si il ne s’en tamponne pas royalement, d’un autre côté.
Je suis sorti un peu trop tard pour aller au karaté, et ça m’a fait suer. Mais ça m’a fait du bien, cette séance. J’ai l’impression de sortir à la fois plus lourd et plus léger. C’est assez paradoxal, je sais, mais je ne peux pas te le décrire autrement. C’est encore pas mal le bordel, il va falloir digérer pas mal de trucs, mais au moins, maintenant je sais ce qui coince.
Une fois rentré chez moi, je fais un bibi à Tigrou, je lui parle de ma séance, et me prends une bière. Je sais, je suis alcoolo. Je fais juste gaffe sur la quantité, mais la récurrence est elle bien là. Je réalise que notre monde est plein d’alcoolos qui s’ignorent, sans doute parce qu’ils pensent qu’être alcoolo, c’est être bourré tout le temps. Moi j’évite l’ivresse, dorénavant, parce que c’est pas bon pour moi, ni pour les autres. Cela dit, je n’ai jamais trop été un « quantitatif » dans ce domaine. Mais même si je me suis raconté que je n’étais pas alcoolo, que j’arrivais à gérer le truc, je couine si je n’ai pas ma dose, à peu près quotidienne. Ca fait encore une casserole ?
Je me pose un moment sur le canapé, après avoir pris des trucs à grignoter, tout en sirotant ma bouteille ; les verres, « c’est pour les tafioles », comme dit souvent Paul. Ca me fait marrer à chaque fois. J’allume ensuite la télé.
En zappant, je tombe à un moment sur une chaîne qui diffuse « Le Mentaliste ». J’adore cette série là aussi. L’acteur est super marrant. Il a un rôle de génie fou. C’est un surdoué de la psychologie et de l’empathie, mais il est complètement barré lui-même. Ce que j’aime le plus, c’est la manière dont il retourne mentalement les gens. Et aussi la façon qu’il a d’agacer prodigieusement sa « patronne », tout en lui apportant une aide énorme. Ah, nous avons un point commun, lui et moi : nous kiffons les canapés ! Ca ne peut qu’être un mec bien, tu vois…
Deux épisodes s’enchaînent, ça me détend.
Vers 22 heures, je réalise que je dois appeler Dave. Je chope mon téléphone et l’appelle sur son portable, parce qu’à moins qu’il ne fasse l’école buissonnière, il doit être au boulot.
Je lui demande de ses news, comment va Vanina-Vanessa. Ca a l’air de bien aller encore et toujours. Après je lui annonce que je rentre en France, très bientôt. Là il est super content (tu vois, je fais plaisir à des gens en leur disant ça !). Je tempère un peu son enthousiasme en lui disant que je ne vais pas retourner sur Cannes. Cannes, ça me fait encore trop mal. Je lui explique que j’ai décidé d’aller m’installer à Bordeaux. Déjà, cela me permettra de ressembler un peu plus à un père, en me rapprochant du Fiston, au moins géographiquement, Rebecca habitant là-bas avec lui, dorénavant. J’ai des années de présence en retard, à rattraper, si cela est possible. Et puis Dave pourra venir en vacances me voir, avec sa chérie, si le cœur leur en dit. « Bien entendu, andouille ! ». Comme je suis bien décidé, je lui demande si il veut bien consacrer un peu de son temps à me chercher un appart’ là-bas. Je lui annonce également avec une joie non dissimulée qu’il devra certainement se porter caution pour moi, parce qu’à mon avis « ça va coincer côté salaire par rapport au loyer ». Pour Dave, ça va assez bien côté finances, et il accepte sans même discuter cette aide, il faut bien le dire, indispensable pour que je puisse m’installer près de Bordeaux ; cela me soulage, parce que je n’ai pas envie de demander à mes parents. Fierté, embarras, je ne sais pas trop. « Puis si vraiment t’es si à l’aise, n’hésite pas à filer ton RIB au proprio ». Il a bien rit quand je lui ai dit ça. Nous nous quittons sur ces mots, après nous être fait des bibis tout pleins d’amour.
Je file ensuite me rafraîchir dans la salle de bains, puis je me change pour la nuit.
Je retrouve mon pote le canapé, et continue à regarder la télé. Je jouerais bien un peu de gratte, mais je suis crevé. « Morphée, j’arrive dans pas très longtemps, mon pote ». J’embrasse Tigrou et comate dans les 5 minutes qui suivent. Ca m’a crevé cette séance, faut pas se mentir.

Le lendemain matin, je suis assez fatigué. Les séquelles de la veille sans doute.
Je me lève tant bien que mal, et file direct me doucher, parce que là j’ai besoin de tonnes d’eau pour achever la phase de réveil.
Je vais dans la chambre afin de chercher des vêtements, et réalise que je n’y dors plus beaucoup, trompant mon lit avec mon canapé. Cela me rappelle des vieux souvenirs…
Je parviens néanmoins à émerger et à m’habiller. Je m’aperçois que j’ai regagné un cran de ceinture ; j’ai pas mal forcé sur les entraînements ces deniers temps (malgré ma relâche d’hier soir), et profité du beau temps pour aller courir de temps en temps. Ca fait du bien. Mais ce matin, je n’ai pas le temps, ni le jus, d’ailleurs.
Je file ensuite au magasin, et y retrouve Jean et Patricia. Nous ouvrons dans moins de 10 minutes.
Nous avons droit à une matinée « RAS ».
Lors de la pause déjeuner, j’appelle Nathalie. Elle semble aller mieux ; j’admire son courage. Je lui rappelle notre sortie de Vendredi soir, avec la « bande ». « Tu pourras roupiller toute la journée, ma petite marmotte, afin d’être en forme ». Je suis content de lui avoir proposé cette sortie, profitant d’un break de 3 jours – enfin de 3 nuits – qu’elle a cette semaine, à partir de ce soir. Il lui faut « de la vie », pour ne pas trop gamberger. J’appelle ensuite Curtis – parce que je l’appelle de temps en temps hein – mais là j’ai aussi une furieuse envie de le « cuisiner » concernant son mot. Ce coyote ne me lâche rien. Ca m’énerve !
Je ne sais pas vraiment ce qui se passe entre eux deux, mais ça m’énerve prodigieusement de ne pas être au courant… Puis j’ai hâte de sortir demain soir, parce que ça va nous faire du bien, cette sortie entre amis.
L’après-midi, nous avons eu notre lot de clients « RAS », puis un casse-pieds de premier ordre, qui a rendu Patricia presque hystérique. Le type a essayé au moins 5 jeans « non, pas celui-là, trop serré ». Puis celui d’après était trop large. L’autre trop foncé. Au bout d’un quart d’heure de manège, il a finalement dit qu’il voulait une chemise. Il en a essayé plusieurs, et est finalement reparti avec une paire de chaussettes. Ca doit être un angoissé des achats, celui-là. Patricia s’est lâchée après son départ, et même si c’est un peu salaud, ça nous a bien fait marrer, Jean et moi. « Le prochain c’est pour vous », nous a-t-elle lancé, un peu rageuse. Ben le « prochain », c’est Jean qui s’en est occupé, et il est reparti avec 2 jeans, 3 chemises, 1 t-shirt, puis un lot de chaussettes et de boxer-shorts. Ca s’appelle un « perfect », chez nous. « C’est pour ça que Jean il est chef, Patricia », ai-je lancé... Ca l’a un peu fait râler, et elle a boudé 10 minutes dans l’arrière boutique, maugréant et marmonnant des tas de trucs plus ou moins audibles, dont « bande de machos ». Jean et moi avons commencé à rire vraiment franchement, puis ça a tourné en fou rire quand l’indécis de Patricia est revenu et a demandé un jean. Moi je suis parti, et ai traversé l’arrière boutique à toute vitesse, afin d’éviter de vexer un peu plus Patricia, puis suis sortie par la porte de derrière, afin de pouvoir enfin éclater de rire comme le sale type que je suis. J’en ai profité pour fumer une clope, parce que j’avais besoin de revenir en mode « normal ». Enfin mon normal à moi… J’ai malgré tout éclaté de rire tout seul, de nouveau. Jean m’a rejoint, hilare également.
J’ai laissé passer un peu de temps, puis suis rentré de nouveau. Patricia n’était plus dans l’arrière boutique. J’ai alors conclu qu’il y avait deux hypothèses : elle s’est barrée parce qu’elle boudait trop et du coup le magasin est en mode « open-bar », ou bien elle est revenue dans la boutique… Je l’ai alors vue triomphante, me montrant le double du ticket de caisse. L’indécis était donc revenu, et s’est acheté 1 jean et 2 t-shirts. Je l’ai alors surnommé « Rainman ».
Nathalie ne boudait plus, mais je suis tout de même allé lui prendre un gâteau, comme pour me faire pardonner. D’un autre côté, tout ça m’a bien fait rire.
Après la journée de travail, je suis allé faire quelques courses de subsistance (chicken wings, steaks hachés surgelés, frites surgelées, chips, bière etc…) puis suis rentré voir Tigrou.
J’ai pu me préparer pour le karaté et ai rejoint les potes.
Séance sympa, nous avons travaillé pas mal les katas avancés. Y en a qui préparent leur ceinture noire, il faut dire. J’ai rappelé notre RDV du lendemain aux potes. Curtis est dans un état second. C’est mignon.
Après, je suis retourné à l’appart’. Tigrou m’attendait sagement. Comme il n’avait pas picolé dans la journée, je suis allé dans le frigo pour me chercher une bière… et me suis dit « non démone, tu ne m’auras pas ».
10 minutes après, m’étant changé, je me suis retrouvé sur le canapé, une bière à la main, et un pot de chicken wings, en train de zapper sur la télé.
Demain soir, c’est notre sortie billard avec la bande, j’ai hâte.
Comme en ce moment je tente d’élever mon niveau culturel, j’ai laissé de côté les séries US ce soir, et j’ai regardé un moment une émission sur les « Orignaux ». Comme la voix off parlait des accidents terribles qui arrivent de temps en temps avec ces colosses ombrageux, j’ai repensé à une ânerie du temps des Nuls, avec Chabat qui répétait « L’orignal est un animal dangereux ». Ca m’a fait sourire, mais après j’ai moins rit quand j’ai vu que des pauvres gens allaient jusqu’à laisser leur peau régulièrement en en tamponnant avec leur voiture. C’est vrai que déjà, quand tu vois le résultat quand tu bigornes un sanglier de 100 kilogs, tu imagines quand c’est un orignal de 500 ou 600 kilogs, voire plus…
Je zappe ensuite afin de me trouver une série US. Il ne faudrait tout de même pas que je devienne trop savant…
Je tape ces quelques lignes et les envoie.
Je m’endors en pensant à ma future vie en France, à mon Fiston, et à toi, bien sûr. Puis le fait de penser de nouveau à notre soirée billard de demain soir me permet de sourire.

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Message  HannibalaTor Jeu 31 Jan - 13:05

Gatineau, Province de l’Outaouais, 15 Avril 2012.

France chérie,

Ce matin, je me suis réveillé en forme, et suffisamment tôt pour aller courir. Pas trop longtemps, je sens que l’arthrose me guette ! Mais assez pour cracher quelques clopes et faire du bien à mes poumons.
Ensuite, douche, habillage et petit-déjeuner.
Comme il est assez tôt, je vais sonner chez Grincheux. Je lui propose de venir avec nous ce soir, afin de jouer au billard. Il me dit qu’il n’y a pas souvent joué… « Tant mieux, j’aime bien avoir des débutants, ça me permet de me sentir pas trop mauvais ». Ben écoute, il a accepté. J’en suis ravi, parce que finalement, j’ai de l’affection pour lui, et ça m’embête de le voir s’enfoncer dans une vie que je trouve sinistre.
Après ça, je pars au boulot.
Patricia me prévient que Jean a appelé pour dire qu’il serait un peu à la bourre ; heureusement que nous avons les clefs et le « bip » pour l’alarme.
Nous vaquons à nos occupations, et Jean ne tarde pas à nous rejoindre.
La matinée se déroule d’une manière calme. Quelques clients, suffisamment pour que cela « justifie » l’ouverture du magasin, mais pas trop pour que nous soyons débordés. Rainman est revenu acheter des chaussettes. Il est énorme ce mec. Nous l’avons laissé aux bons soins de Patricia.
Ce midi, nous sommes allés manger tous les 3 ensemble. Cela nous arrive assez souvent, et ça « soude » notre petite équipe.
L’après-midi, au début ça a été calme. Puis vers 16 heures, le rythme s’est accéléré. Il y avait pas mal de mamans avec leurs enfants. Ca m’a fait penser que je n’ai pas appelé Rebecca et le Fiston ; j’appelle donc Rebecca dans la foulée. Jean m’a laissé le téléphone du magasin, et je me suis installé dans l’arrière boutique. Ca lui a fait bizarre, quand je l’ai appelée. Elle m’a envoyé quelques reproches, justifiés. Puis je lui ai dit que j’avais envie de m’occuper plus de notre petit chéri. Après elle a été sympa, et m’a même donné des indications pour la taille des vêtements, pour notre fiston. C’est un peu compliqué, parce que déjà qu’à la base, les tailles c’est le bazar, et là je ne suis pas dans le même pays, en plus… Alors elle m’a donné ses mensurations, en plus des tailles « françaises ». Je lui ai dit que je revenais dans les 15 jours.
J’ai acheté une chemise taille « M » pour Grincheux, puis j’ai commencé à regarder attentivement les vêtements taille « enfant », autour des 4 ans. Il n’y a pas grand-chose pour eux chez nous, juste des jeans, des blousons. Je lui ai pris un jean et une belle veste en jean, également. C’est déjà ça, pour mon p’tit cow-boy.
J’ai aussi pris Jean à part, et lui ai expliqué que j’allais retourner en France. Ca lui a fait un coup, au début. Puis après il m’a dit qu’il comprenait très bien pourquoi je le faisais. Ce soir, je l’annoncerai probablement à notre petite bande d’amis. J’appréhende un peu, mais ça se fera.
En rentrant, je suis allé sonner chez Grincheux et lui ai remis un sac, avec sa chemise dedans, en lui disant bien qu’il devait la mettre ce soir.
Ensuite, je suis allé à l’appart’. J’ai fait du rangement, sous l’œil attentif de Tigrou. Après, je me suis détendu en jouant de la gratte, tout en regardant la télé. Comme d’hab’, quoi.
Puis j’ai pris un dîner léger, et me suis préparé pour notre sortie. J’ai enfilé une chemise à carreaux (je dois te dire que le fait que nous allions ainsi vêtus dans un club qui s’appelle « L’Élégance », ça a un petit côté subversif qui n’est pas pour me déplaire) et ai remis ma veste en jean de cow-boy. Nous nous sommes donnés RDV à 21 heures. Je suis naïvement allé sonner chez Nathalie, pensant que je l’amènerais… Curtis était là, il lui avait apporté un bouquet de fleurs, un truc très simple, et très joli, que Nathalie avait déjà mis dans un vase.
Je les ai salués tous les deux, et me suis éclipsé. Je vais laisser mon copain Curtis faire le prince charmant qui emmène la Belle au Bois Dormant. Nous ferons carrosse à part !
Du coup je suis allé chercher Grincheux. Ca le change d’être en jean et en chemise à carreaux, c’est fou ! Et puis ça m’a pris comme ça, je me suis dit que ça serait bien que Grizzly vienne avec nous. Ok, je m’y prends un poil tard (à peine), mais parfois il faut improviser. Nous sommes allés, Grincheux et moi, sonner chez lui. Il était en train de regarder la télé, et a accepté dans la seconde notre invitation. Je crois qu’il se fait suer chez lui, tout seul.
Je l’ai ai emmenés, et Curtis a emmené Nathalie.
Nous sommes arrivés tous les 5 en avance par rapport à nos autres camarades. Ca fait rigolo de voir Grizzly sortir de ma voiture. Il faut dire qu’il était un peu tassé… Tu vois le golgoth qui sort, ça fait vraiment marrant. Un truc qui passerait très bien dans un film comique, j’en suis certain. En attendant les autres, nous sommes restés dehors. J’en ai profité pour fumer, toxico que je suis. Grincheux aussi fume « de temps en temps », comme il m’a dit timidement, et m’en a demandé une.
Peu après, Jean et Paul nous ont rejoints. Nous sommes alors rentrés dans notre club bien aimé.
Aucune table de billard n’étant libre à ce moment là, nous avons commandé des boissons. Bière obligatoire, même pour Grincheux ! Nous nous sommes installés à une table côté bar, et puis avons discuté pas mal, de choses et d’autres. J’ai profité de cette réunion avec mes amis afin de leur dire que je rentrais au « pays ». Ca a un peu plombé l’ambiance sur le coup… Puis après ils ont été super sympas. Jean a levé sa bouteille (nous délaissons les verres, parce que tu l’auras compris, « c’est pour les tafioles ») à « un ami qui s’en va, mais qui restera dans nos cœurs », et tout le monde a suivi. Puis il nous a lancé à tous une invitation pour un barbecue chez lui, Dimanche. Il fera beau ce week-end, et il a dit que ça nous permettrait de fêter dignement cet « au revoir ». Ca m’a fait vraiment plaisir. Il nous a dit « amenez vos bières », et ça m’a tout de suite fait penser à ces barbecues « BYOB » dont parlait mon pote GI « Kaylos » (son pseudo… Pour une fois ça n’est pas un sobriquet que j’avais trouvé !), que j’avais connu sur ce jeu en ligne qui t’énervait tant. « BYOB », ça veut dire « bring your own beer ».
Je regarde Nathalie et Curtis. On dirait deux ados, c’est vraiment touchant. Il est super prévenant avec elle, et ça lui fait du bien. Je ne peux m’empêcher de penser que si leur « flirt » (je n’aime pas trop dire « histoire », je trouve ça moche) dure, elle sera bien protégée, par un mec qui est un roc, mais qui n’a pas mes pulsions violentes. A part sur le tatami, mais là c’est parce que je le cherche un peu parfois. Et puis je pense qu’il ne faudra pas venir importuner Nathalie.
Pas trop longtemps après, une table de billard se libère, et le patron de l’Élégance vient nous prévenir. Il connait bien Paul en particulier, et plusieurs d’entre nous, pour nous avoir vus souvent.
Nous jouons tout à tour. Curtis « coache » Nathalie, avec une douceur extrême, et une grande gentillesse.
Je suis heureux, ce soir.
Après avoir joué près de deux heures, nous sortons. Pas question de sortir avec des bouteilles, ça ne se fait pas. Alors que nous discutons à la sortie, trois types vraisemblablement éméchés s’approchent de Grincheux, resté un peu à l’écart, et commencent à lui chercher des noises, le « taquinant » très lourdement. Là, mes réactions de loup ont repris le dessus, et je me suis approché d’eux, l’air moyennement avenant. Paul, Jean et Curtis, sentant que ça allait tourner, au vinaigre m’ont emboité le pas. Et quand Grizzly a fait de même, je crois que ça a provoqué une resynchronisation des synapses chez ces trois demeurés. Je leur ai alors demandé de présenter leurs excuses à Grincheux, et ils ne se sont pas fait prier. Ils sont ensuite partis sans dire un mot. Grincheux était soulagé, et moi aussi, parce que ça n’a pas tourné de mauvaise manière. Il m’a dit que d’habitude, dans ce genre de situation, il se faisait tout le temps humilier, voire malmener. Je lui ai répondu que maintenant il avait des amis.
Nous sommes alors allés marcher le long de la rivière. C’était une belle soirée, assez douce, même si les vestes n’étaient pas superflues. Nathalie et Curtis marchaient main dans la main, et puis Paul, Jean, Grizzly, Grincheux et moi les regardions, tout en discutant. En fait Grincheux est vachement marrant, et il connait beaucoup de choses. Un mec à découvrir, en somme.
Nous avons ensuite regagné nos véhicules, et chacun est rentré chez soi.
Curtis a ramené Nathalie chez elle, comme un gentleman. Et moi j’ai ramené Grizzly et Grincheux. Comme un brave copain !
En rentrant dans mon appart’, je me suis changé, puis j’ai allumé la télé, vautré sur le canapé, avec Tigrou, qui semblait content de me revoir.
Peu après, j’ai eu envie de regarder un DVD. Je n’étais pas fatigué. J’ai mis un de mes films fétiches, « Serpico ». Je l’adore. Il me fait penser un peu à moi ; faut bien que je me flatte un peu. J’ai repensé à mes années comme « gardien de la paix ». Moi aussi j’ai voulu passer le concours pour devenir « officier ». Mais j’ai été recalé. Les concours, ça ne doit pas être mon truc. J’aurais du faire du droit après le Bac, et avant la BAC. Mais voilà, j’avais envie de rentrer vite dans la police, pour pouvoir bosser, et arrêter tout plein de « méchants ». Et comme Serpico, j’ai voulu rester intègre. Et comme lui, je me suis laissé aller vers un isolement. Pas pour les mêmes raisons, mais tout de même, ça m’y fait penser. Peu à peu, je me suis laisser corrompre, mais pas par le pognon ni des « magouilles ». Par ma violence, souvent contenue, mais qui explosait de temps en temps. Parfois sur toi, même si ça n’était pas directement.
Après, j’ai eu envie de regarder « Bad Lieutenant », celui avec Harvey Keitel. Le « vrai », quoi. Tu sais combien je l’appréciais, ce film. Maintenant, je comprends pourquoi : la quête de cette fameuse « rédemption »… Comme je commençais à bailler, j’ai éteint le PC, avant la fin du film, puis suis allé me coucher, dans la chambre. Ca faisait longtemps.

Ce samedi, je me réveille, la tête dans le gaz. Je me suis couché vers 2 heures 30 du matin la veille… J’avais fort heureusement prévu le coup, et mis le réveil à sonner assez tôt.
Je m’étire doucement et aperçois le soleil dehors : Paul avait raison, nous allons avoir un beau week-end. Je vais dans la cuisine, fais un bibi à Tigrou, qui fait un peu la gueule : je l’ai laissé tout seul cette nuit. Je me fais un thé à la menthe, mets mon short et vais courir quelques bornes. Histoire de me réveiller. Ca tire un peu ce matin, mais si je ne me fais pas violence, je vais me trouver des tas d’excuses, plus ou moins légitimes.
En rentrant, je me douche et m’habille et prends un vrai petit-déjeuner. Le thé, ça ne me suffit pas. J’ai envie d’appeler Dave, histoire de lui demander si il a pu avancer sur les recherches. J’en ai effectué en parallèle, histoire de tâter le marché Girondin. En voyant les loyers à Bordeaux et dans les villes limitrophes, je me suis aperçu que c’était assez cher, pour mes futurs moyens. Hier matin, je lui ai envoyé un mail pour lui dire qu’il fallait creuser plus dans le Sud Gironde, parce que c’était moins cher.
Il va bien le Dave. Roucoulade au max avec Vanessa-Vanina. Il a trouvé quelques annonces dans des « bleds » du Sud Gironde, et a appelé quelques les numéros indiqués au sein de ces mêmes annonces. Ca a l’air jouable là-bas : je pourrai avoir un appart’ pas trop petit, genre beau 2 pièces, pour le même prix qu’un trou à rat à Bordeaux. Ca me rassure, et je lui demande d’avancer les démarches, parce que ça va urger. Il me dit qu’il va rappeler des gens ce matin, m’envoyer des photos et des annonces. J’ai confiance dans le choix qu’il fera au niveau de la sélection. Je le laisse ensuite en lui disant « C’est pas tout ça, on discute, on discute, mais tu as du boulot à abattre pour moi, et moi je dois aller gagner ma pitance ». Il a rit, et nous nous sommes dit « à plus tard ».
Je suis ensuite parti au travail. Matinée RAS. Pas mal de monde, comme souvent le Samedi. A l’heure du déjeuner, j’ai appelé une agence, pour m’acheter mon billet retour. J’ai un vol pour Mercredi. J’appelle le proprio dans la foulée, pour lui dire que je lui laisse son « meublé ». Je vais lui lâcher un mois de loyer en plus, parce que je pars comme un sagouin.
Après-midi RAS.
En sortant, le soir, je suis allé acheter un pack de bière, puis d’autres boissons ainsi que des chips, pour le barbecue du lendemain.
Après, j’ai regagné mon appart’ et rejoint Tigrou, qui m’attendait sagement. Il ne boudait plus.
Nous avons passé une soirée peinarde, devant la télé. J’ai également rappelé Dave, qui m’a dit qu’il avait trouvé 3 annonces pas mal, et correspondant à la fois à mon maigre budget et à mes critères. Là c’est clair, je vais atterrir dans un bled ! Mais enfin, ça doit être sympa malgré tout, et je n’ai pas les moyens de pinailler. Il a appelé les « proprios », dont deux représentés par les presque incontournables agences… Celles qui regorgent de gens gagnant aussi peu que toi et t’expliquant avec un air un peu condescendant que ton budget est pourri… Ca fait marrer quand tu connais un peu les coulisses. Dave leur a gentiment dit au revoir, et a pu se rabattre sur la dernière annonce, émanant d’un particulier. Il m’a envoyé les photos, c’est sympa ; un « deux pièces » avec une cuisine ouverte, façon « cuisine US ». Une chambre, une salle d’eau, et puis le tout dans une maison réaménagée façon immeuble locatif. Avec un jardin. C’est pas le parc du Château de Versailles, mais je pourrai faire des barbecues, et puis peut-être y laisser un chien. Je lui dis banco et de lancer la résa. Pas le temps de pinailler, surtout au regard de ma situation. Et dans le pire des cas, si ça ne va pas, je changerai une fois sur place…
Après ça, j’ai gratté et chanté, doucement.
Ensuite, je me suis affalé de nouveau sur le canapé. Faudrait voir à pas laisser Tigrou seul dans le salon, sinon il va bouder. Séries US à la télé. Parfait pour moi. Ce soir je vais m’endormir pas trop tard, sinon demain je vais tirer la langue.
Bonne nuit mon ange.

Nous voilà Dimanche. Ce matin, je me réveille content, à l’idée du barbecue chez Jean.
Je m’étire doucement dans le canapé, en pensant à mes quelques mois passés ici. Ca m’a fait du bien, je crois.
Maintenant, je vais me préparer. Pas de footing aujourd’hui. C’est jour de repos. Je vais juste aller marcher un peu, pour sentir l’air de ce pays, qui m’a somme toute plutôt réussi.
Il fait bon ce matin. Les Canadiens sortent pas mal le week-end, quand les beaux jours arrivent. Il y a plein de parcs d’attractions, pour les petits comme pour les grands. Et une nature superbe. J’ai peu profité de cet aspect là de la vie dans ce beau pays, et je le regrette, ce matin.
Tu sais, un départ donne l’occasion d’avoir des regrets. Ou des remords. Le tien m’a d’ailleurs donné des regrets, puis ensuite des remords. Ici, je crois que je vais laisser pas mal de regrets. Mais je reviendrai, je pense. Ou j’espère. Tiens, j’espère. C’est bien ça. J’ai de nouveau des envies ; c’est bon signe pour un soi-disant dépressif. J’enverrai une carte postale à Woody Allen pour lui dire que je suis un dépressif qui va mieux.
Je rentre ensuite, me douche et me change. J’ai encore du temps avant de partir ; Jean nous a dit d’arriver pour 11 heures 30.
J’appellerais bien Dave, mais il est bien trop tôt pour lui, et il ne faudrait tout de même pas qu’il se mette à me détester.
Je paresse ensuite devant la télé en prenant mon petit-déjeuner. Il est sympa cet appart’. J’aurais aimé que tu le connaisses.
Puis je me mets à gratter, ça me fera du bien. Je vais chanter le « blues du Français chez les caribous » ! Quoi que je me dis que ça n’existe pas encore, et je n’ai jamais été doué pour la compo… Je chanterais bien « La complainte du phoque au Canada ». Finalement, j’opte pour du Neil. Parce que c’est bien lui mon héros musical. Enfin l’un d’entre eux.
Il est l’heure d’aller rejoindre la bande, chez Jean. Je prends les emplettes effectuées hier, j’attrape Grincheux chez lui, et me dirige sur le parking. Il y a du mouvement ce matin : je croise presque tous les voisins, sauf Jean, Virginie et leurs enfants ; ils sont partis passer le week-end dans un parc d’attraction. J’ai envie de leur dire que je pars bientôt, mais ça fait un peu « Bon, je me casse. Ca a été sympa de vous connaître, mais c’est pas tout ça, j’ai une vie à récupérer en France ». Je passerai plutôt les voir un par un dans la semaine.
Curtis est là, avec son carrosse, pour emmener Nathalie. Il lui ouvre la porte ; je crois qu’elle n’a pas l’habitude.
Nous nous dirigeons chez Jean. C’est bizarre, nos voisins nous emboitent le pas.
Nous arrivons chez Jean… en convoi. Il nous accueille devant sa maison ; Curtis l’a prévenu par téléphone… Lorsque je descends, Jean m’informe du fait qu’avec la complicité de Nathalie et Curtis, il a invité tous nos voisins… Punaise, ça me fait bizarre : j’ai l’impression d’être une star.
Nous garons nos voitures comme nous pouvons, et entrons ensuite chez lui.
Jean a une maison sympa. Ca n’est pas un palace, il n’est pas millionnaire, mais c’est une jolie maison, avec un jardin qui encercle la maison. Le genre de truc où il te faut un chien et où tu coupes des bûches pour la cheminée durant tout l’été, en attendant l’hiver.
Nous faisons le tour de la maison, et arrivons dans la partie arrière du jardin. Il nous a préparé quelque chose de vraiment bien, avec une tente, des tables, des chaises (ouais, le grand luxe ! Nous ne mangerons pas debout). Paul et Thierry sont affairés au barbecue. Je passe les embrasser puis vais nous prendre des bières. Il faut toujours prendre soin des cuistots !
Tout se met en place doucement. Je vais discuter avec chacun, tout en grignotant des chips et en savourant le plaisir de cette belle journée.
Jean nous a préparé un barbecue pantagruélique. Tu sais combien j’apprécie cela. Nous festoyons et levons nos verres à l’amitié. Je n’aurais pas le Fiston chéri et d’autres attaches en France, je resterais ici sans hésiter.
Dans l’après-midi, Curtis nous fait un mini concert ; il a amené sa guitare, et nous émerveille de nouveau tous. Il a notamment rejoué « Wild Horses » pour Nathalie, et les deux tourtereaux s’échangent des regards pleins de tendresse. Ils ne sont pas « pressés », mais ils semblent s’être bien trouvés. Ma Dalton est toute mignonne ; elle a apporté deux de ses fameuses tartes aux noix de pécan et au sirop d’érable. Grincheux semble à l’aise, moins timoré que d’habitude. Grizzly le met à l’aise. Ca fait marrant de les voir tous les deux côte à côte : le mec de deux mètres, impressionnant, mais doux comme un agneau, et le petit bonhomme un peu coincé, mais qui a une bonne droite. Jean et Virginie me disent qu’ils ont prévu d’aller en France cette année, et qu’ils passeront me voir. Paul et Thierry ressemblent à n’importe quel couple, enfin n’importe quel couple uni. Et Jean fait un merveilleux maître de cérémonie.
Mes amis d’ici vont bien, je vais pouvoir les laisser, l’âme en paix, de ce point de vue.
Nous nous quittons en fin d’après-midi. Je remercie chaleureusement Jean, qui est un ami, bien avant d’être mon « boss ».
Quand je repars de chez lui, avec Grizzly et Grincheux, j’ai les yeux un peu rouges. Ca passera.
En rentrant chez moi, j’ai allumé le PC et consulté mes mails. Dave a signé le bail à son nom pour mon appart’ et m’indique « T’es un cas social, faut bien que quelqu’un s’occupe de toi. Et je t’aime, andouille. ». Je l’appelle aussitôt pour le remercier, parce que ça fait bizarre, même venant d’un ami aussi proche, que quelqu’un fasse cela pour toi. Dave est dans un état seconde puis qu’il a rencontré Vanessa-Vanina. Je ne l’avais jamais « vu » aussi heureux. Je lui dis que j’ai mon billet retour, que j’arrive Mercredi prochain. Il m’embrasse et me dis « à bientôt ».
Je me dis que ma vie en France commence à prendre forme. Pour le job, je ne suis pas trop soucieux. Avec mon « CV », retrouver un emploi dans la sécurité ne devrait pas poser de soucis.
Je me dis aussi que je vais sans doute me prendre un chien. Les chiens, ils sont compréhensifs avec les humains. Même avec ceux qui sont des calamités en matière de relations amoureuses. Ca sera mon pote, et puis comme ça je n’irai pas courir tout seul. J’ai toujours voulu un chien « loup ». Ca sera un berger allemand. J’aurais bien voulu un husky, mais je ne pense pas avoir les moyens, d’une part, et puis ça a besoin de neige. La Gironde, pour ce que j’en sais, ça n’est pas ça…
Je réalise que je vais bientôt quitter le Canada.
C’est un sentiment ambivalent.
D’un côté, je suis content de retourner en France : j’y reverrai mon Fiston, Dave, sans doute Patrick, ma famille… Ma famille il va falloir que je raccroche les wagons avec elle.
De l’autre côté, je vais laisser ici des amis très chers.
Mais je crois que j’ai effectué au Canada ce que j’avais à y faire : me retrouver.
J’ai relu ces lettres que tu ne liras certainement jamais. Ce sont mes « Lettres à France ». Mais contrairement à ce que dit la chanson de Michel Polnareff, « Lettre à France », « Depuis que je suis loin de toi, je suis comme loin de moi », je me suis, au contraire, trouvé, loin de toi. Ne va pas croire que je trouve subitement notre séparation salutaire. Enfin, pour toi sans doute l’a-t-elle été, mais pas pour moi. Par contre, parce qu’il faut bien trouver quelque chose de « positif » dans tout cela, certains évènements ici m’ont permis de comprendre la genèse de notre mal.
Je regarde Tigrou en pensant à cela. Je crois qu’il est fier de moi, au moins pour ça. Et tu lui manques, à lui aussi.

J’essaierai de t’écrire avant mon départ.
Tu me manques toujours autant.

Olivier
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Message  HannibalaTor Lun 4 Fév - 19:31

Gatineau, Province de l’Outaouais, 17 Avril 2012.

Chère Amie,

Je fais miens les mots de Marc Lavoine pour t’écrire ceci :
« Chère Amie,
Je vous envoie ces quelques fleurs, avec mon cœur à l’intérieur
Je vous fais, toutes mes excuses »

Je ne saurais te dire combien j’aimerais pouvoir te dire cela, par écrit ou de visu. Mais voilà, je ne le peux pas. Et pourtant, après tout ce qui s’est passé ces derniers temps dans ma vie, ce dont j’ai pris conscience, c’est finalement ce qui me chagrine le plus : ne pas pouvoir te dire combien je suis désolé. Pour toi plus que pour moi. Moi j’ai récolté ce que j’ai semé ; j’ai failli dans le cadre de cette opportunité que j’avais d’être celui dont tu avais besoin. Mais toi, tu as souffert de mes excès, et j’aurais voulu te dire combien j’en éprouve des remords.
Ne prends pas cela pour un appel misérable à ton très improbable retour : je ne serais certainement pas capable d’assumer ce que je t’ai fait subir, même si j’obtenais ton tout aussi improbable « pardon ». Car le mien, dans le cas présent, j’ai beaucoup de mal à me l’accorder. J’ai honte, en fait, tout simplement.
Je t’espère dans une vie nouvelle et heureuse, qui te mettra à l’abri de ce mal que je t’ai fait, en espérant que le temps apaise tes blessures.
Moi je vais soigner les miennes.
J’ai repensé à un truc étonnant. Tu te souviens sans doute que l’un des super-héros qui me fascinait le plus est Serval (je ne me ferais jamais à son nom anglais, depuis que je suis gamin je l’ai connu comme étant Serval – son nom français). Serval, ce super-héros soi-disant bestial… En fait c’est tout le contraire : il est le plus humain de tous, parce que l’animal en lui, il le regarde droit dans les yeux, au lieu de le renier. Et c’est cela qui lui donne cette humanité prodigieuse, vibrante. Je vais essayer de m’inspirer de lui, de regarder la bête en moi, comme pour mieux la connaître, et ainsi pouvoir l’apprivoiser.

Ce matin je vais au travail, pour ma dernière journée. Jean m’a laissé la journée de Mardi libre, afin que je puisse traiter mes « affaires courantes ». Ca m’a fait bizarre de me dire que c’était ma dernière journée au magasin, parce que je l’aime bien ce job, et que j’y ai vu mon ami Jean durant tous ces mois, puis Patricia, les clients marrants, Paul qui passait nous voir assez souvent.
Nous sommes de nouveau allés déjeuner tous les 3 ensemble ; Jean y tenait beaucoup. J’en ai profité pour le remercier de nouveau, et lui dire combien j’ai apprécié tous ces bons moments passés avec lui et Patricia, tout au long de cette expérience vraiment nouvelle pour moi.
L’après-midi s’est ensuite déroulée tranquillement… A la fin de la journée, quand je suis parti, j’ai fait mine de contenir mon émotion, mais ça a été difficile.
En rentrant chez moi le soir, j’ai commencé à faire mes valises. J’ai amené très peu d’effets personnels sur place. Et je vais essayer de repartir léger. Je vais laisser ma télé à Grizzly, la sienne est toute petite. Et puis je donnerai mon PC portable à Ma Dalton ; comme ça elle pourra aller draguer sur Internet.
Je conserve ma guitare par contre, bien entendu.
J’ai reçu deux réponses de boîtes de sécurité : mon CV les a intéressés. Je ne saurais te parler de réjouissance dans ce domaine, mais il faut bien bouffer. Et pour le moment, mon profil ne doit que très peu intéresser les SSII et les banques (à part pour me coller comme agent de sécurité…). Puis j’aime pas les banques, tu le sais bien.
J’ai appelé Dave et lui en ai parlé. Il me dit que c’est bien, et que j’aurai le temps de réfléchir à autre chose si jamais j’en ai marre de tout cela.
Je me couche sur le canapé, devant ma copine la télé, sous le regard de Tigrou, qui sent bien que ce soir j’ai le spleen.

Aujourd’hui, nous sommes Mardi. Ma dernière journée complète ici, dans le cadre de ce séjour.
Je me fais des pancakes, histoire de marquer ce jour particulier. J’arrose généreusement de sirop d’érable, au cas où soudain je n’en achèterais plus quand je vais rentrer « au pays ». C’est complètement con, mais c’est comme ça. Ca doit faire partie des rituels qui rassurent.. Et qui sait, peut-être ferai-je encore des pancakes en France, à mon retour.
Je continue ensuite de préparer mes affaires pour ce retour, d’ailleurs. Je vais laver mon linge et le faire sécher. Je vais éviter de ramener pas de linge sale dans mes valoches. J’ai déjà des casseroles, faudrait voir à ne pas en rajouter.
Les valises sont bouclées ; je conserve juste ce qu’il me faut pour me changer demain matin : quelques fringues, et ma trousse de toilettes. Tout cela ira dans mon bagage à main ; tu sais, mon sac fétiche, celui que tu m’avais offert.
Je me fais un repas à la Olivier : des blancs de poulet et des pâtes. Ca ne m’a pas passé, ça non plus.
Je joue un peu de guitare, avant de la mettre dans sa housse. Elle va faire un long voyage demain.
En fin d’après-midi, je vais sonner chez les voisins, afin de leur dire « au revoir ». J’ai besoin de le faire, mais d’un autre côté, je ne m’attarde pas trop chez chacun d’entre eux, parce que je n’aime pas les adieux. Qui aime ça, d’ailleurs ?
Je commence par le RDC. Ma Dalton m’a préparé une de ses fameuses tartes aux noix de pécan « pour vous tenir chaud au cœur quand vous serez dans l’avion ». Elle est vraiment trop mimi. Quand je lui propose de me laisser mon PC portable, elle me dit juste « Mais à quoi bon ? Moi j’écris des lettres à l’ancienne, et je regarde la télé si j’ai envie de voir des paysages. Je l’embrasse et la remercie pour tout. Ensuite, je vais chez Gérard et Sylviane. Nous nous sommes peu vus durant mon séjour ici, mais ils ont toujours été des voisins souriants.
Maintenant, je vais au premier. Je sonne d’abord chez Jean et Virginie. Ils me redisent qu’ils vont passer en France cette année, certainement en été, et qu’ils passeront me voir. Ca a été super de les connaître, ils m’ont bien aidé à mieux connaître ce beau pays. Je vais ensuite chez Jean-François et Céline. Leurs enfants m’ont fait chacun un dessin. Ca m’a beaucoup touché. Dessus, ils ont écrit « A bientôt cousin de France ». Après cela, je passe voir Grizzly. Là ça commence à être plus dur, parce que Grizzly, c’est vraiment un mec attachant. Je lui dis qu’il pourra passer demain matin chercher ma télé, parce que je trouve qu’elle ira très bien dans son salon. Avant que je parte, il me prend dans ses bras et me fait un « hug ». La vache, y a de la force de serrage !
Je remonte ensuite à mon étage. Je commence par mon Grincheux. Lui, ça me fait vraiment bizarre. Je me sens encore tout honteux pour la fois où je lui avais mis une beigne… Je lui en reparle, et il me dit que « c’est bon, les compteurs ont été remis à zéro ». Possible, mais je regrette aussi de ne pas avoir mieux connu ce petit bonhomme finalement plein de ressources. Je lui propose mon PC portable, parce que j’ai cru comprendre qu’il n’en avait pas. Il est content et me prend dans ses bras à son tour. Ah, ils font bien la paire avec Grizzly tiens ! N’empêche, j’ai les yeux un peu rouges maintenant. Et là, il me va falloir aller « affronter » Nathalie… Il n’est pas encore trop tard, elle a encore du temps avant de partir. Quand elle m’ouvre la porte, j’ai une grosse émotion. Elle m’invite à boire un coup, et cette fois-ci je ne refuse pas (j’ai refusé chez les autres, de peur de repartir cuit au bout du 4ième voisin !). Nous prenons chacun une bière, et nous asseyons. Elle est futée, la p’tite Nathalie. Comme elle voit que je ne suis pas bien, elle me cuisine un peu. Je lui explique ce que sa mésaventure m’a permis de comprendre de ma propre vie. Je lui explique aussi qu’en fait, sous le couvert d’avoir eu le « beau rôle » lorsque Ducon l’a agressée, je l’avais autant défendue – cela, je ne peux tout de même pas l’occulter complètement – que je n’avais finalement voulu battre la « bête » en moi, au travers de Ducon. Au moment où je lui dis cela, ça me soulage étrangement. J’ai l’impression de remettre les pendules à l’heure, en lui faisant comprendre qu’à une époque, à quelques détails près, j’aurais pu être Ducon. En réponse à cela, elle m’a pris dans ses bras et m’a ensuite regardé en me disant qu’elle comprenait ce que je voulais dire, mais que ça n’empêchait pas qu’elle était bien contente que je me sois trouvé là ce fameux soir. Et que si l’on ne peut pas réécrire le passé, on peut devenir quelqu’un de meilleur…
Ouais… Possible…
Après elle m’a parlé de Curtis (ah, enfin !). Sans me donner de « détails », elle m’a dit que c’était aussi grâce à moi qu’elle l’avait rencontré, et qu’aujourd’hui elle se sentait heureuse comme jamais.
La vache, ça me regonflerait presque ça…
Elle m’a de nouveau pris dans ses bras avant que je ne parte, puis elle m’a sourit et m’a dit « Nous avons tous droit à une seconde chance ». C’est fou, à cet instant là, j’ai revu ton sourire en elle.
Je suis ensuite rentré dans mon appartement. Demain, je lui dirai au revoir.
Après cela, j’ai passé quelques appels à mes amis d’ici : Jean, Paul, Curtis… Curtis m’a dit qu’il avait pris sa journée de demain, et qu’il m’emmènerait à l’aéroport… Ca m’a beaucoup touché ça.
Ce soir, je reste peinard ici. C’est vrai que j’ai un peu le spleen, que j’aurais bien revu les potes une dernière fois. Mais voilà, ça fait un peu comme la chanson de Richard Anthony – « J’entends siffler le train » : j’ai pensé qu’il valait mieux les quitter sans un adieu.
C’est pourtant ce manque « d’adieu » entre toi et moi qui a souvent renforcé la douleur de ton départ. Ce n’est pas que si nous avions eu une grande conversation avant, ça m’aurait rendu heureux. Mais de découvrir un soir notre appartement vide, sans un mot de ta part, ça m’a crucifié. J’en rêve souvent, la nuit. Tu vois, c’est ça aussi, mon ange au dos tourné, sur mon avant-bras.
Tu vois, je change. Demain matin, à part Curtis, il n’y aura pas d’adieu sur le quai d’une gare, si dans un aéroport. Juste un « au revoir ». Et ça, ça rime avec espoir.
De toute façon, les trains ne sifflent plus depuis bien longtemps. C’est comme ça. Les « choses » changent, et les gens aussi.

J’ai également imprimé toutes mes « Lettres à France », et les ai réunies dans un genre d’album, avec des photos diverses.
Qui sait, peut-être un jour publierai-je tout cela. Sur un blog, tiens. Pourquoi pas. C’est vachement à la mode ça.
Je ne t’écrirai pas demain matin. Ca n’est pas que je n’aurais rien à dire… Mais voilà, je tourne une page ici, et je tente de me dire que tu fais partie de ce chapitre.

Je te souhaite une vie heureuse, même avec ton notaire. Après tout, il doit être sympa. Enfin j’espère.
Prends bien soin de toi ma chérie, comme je n’ai pas su le faire.

Olivier
Ton sale type.
Parce que je te l’avais dit dès notre rencontre, que j’étais un sale type. Et j’adorais quand tu m’appelais comme ça.
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