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Chroniques de la fin d'un monde

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Chroniques de la fin d'un monde Empty Chroniques de la fin d'un monde

Message  HannibalaTor Sam 29 Déc - 18:59

Je n'en reviens pas...

Demain, notre planète va exploser. Cela fait les gros titres de tous les journaux, et des reportages sont diffusés non stop sur les chaînes TV d'information. Voilà la fin du monde qui arrive, et je suis... à Londres, sous la pluie. Loin de tous ceux que j'aime. J'avais rarement imaginé que je connaîtrais ce jour fatidique, mais les rares fois où j'y avais pensé, je m'imaginais en train de siffler des cocktails sur une terrasse du Sud de la France, à célébrer le bon temps vécu avec des personnes que j'aime. Et il faut que je me retrouve dans la capitale européenne du temps pourri...

L'ambiance dans les rues est difficile à décrire. Je pensais que ce serait l'anarchie in the UK, mais non. Certes, il règne une grande agitation. Mais sans heurt, sans violence. Enfin pas plus que d'habitude. L'ambiance est électrique, disons. Même en cet instant terrible de l'histoire humaine, le britannique sait se tenir. La police fait son travail, et les citoyens ne sont ni plus ni moins respectueux de la loi qu'à l'habitude. Ou bien les excès des uns sont pondérés par les excès des autres ; je ne sais pas trop, et à dire vrai, je crains de ne pas avoir le temps d'écrire une thèse sur le sujet. Et encore moins d'avoir le temps de la soutenir.

Même le chauffeur de taxi fait son job et m'emmène gentiment vers mon hôtel. Je ne m'étais fort heureusement pas trop éloigné, mais j'ai tout de même le temps de discuter un peu avec le chauffeur. J'ai cru comprendre qu'il était originaire du Pakistan, et nos accents respectifs ne nous empêchent pas de communiquer. Je lui ai tout de même demandé pourquoi il continuait à exercer à quelques heures de la terrible fin de notre planète. Il m'explique que cela fait 25 ans qu'il est chauffeur de taxi de nuit à Londres, 12 heures par "jour" (enfin par jour mais de nuit, hein), et que sa vieille voiture est devenue le théâtre improbable dans lequel il voit le mieux la grande comédie de la vie se jouer : "Quand tu es chauffeur de taxi et que tu discutes avec tes clients, tu as accès à une connaissance des gens qu'aucun autre métier au monde ne peut t'apporter. Les gens heureux te parlent de leur bonheur, les gens malheureux de leurs problèmes et de leurs détresses. Et tout cela bien souvent sans la moindre retenue, parce qu'ils savent qu'ils ne me reverront jamais. Alors ils se lâchent". Je me dis que ça se tient, après tout.
Il me dépose au pied de l'hôtel. J'ai presque envie de dire au pied de l'autel, tant j'ai à un moment l'impression qu'il m'amène au sacrifice. M'enfin le pauvre homme n'y est pour rien. C'est la faute à pas de chance. J'hésite un moment. Vais-je le payer ? Non pas que j'ai l'habitude de resquiller, mais j'avoue que l'idée a traversé mon esprit confus. Cela dit, il a été bien gentil de faire le taxi en cette soirée si particulière, alors je vais être bien gentil et lui donner les 6 Livres "Sterling" (ils auraient pu passer à l'Euro tout de même...) qu'il me réclame courtoisement. Nous allons tous être désintégrés, j'en conviens, mais nous allons mettre un point d'honneur à être désintégrés dans la dignité !

Je rentre dans l'hôtel, traverse vite fait le hall, qui est bondé de gens. Le bar connait un grand succès, plus encore qu'à l'habitude. Dans ma tête, j'entends la chanson de Pascal Obispo et Natacha Saint-Pierre ("Mourir demain"), ce qui me semble être une chanson de circonstance. Je file vers l'un des nombreux ascenseurs. Formidable, ils fonctionnent encore. Ça m'aurait fait suer de me taper les 6 étages à pied. J'ai envie d'être désintégré dignement, et sans avoir de courbatures.
J'entre dans ce brave ascenseur, qui comme mon chauffeur de taxi, a décidé d'assurer son service malgré les circonstances exceptionnelles. Et là, allez savoir pourquoi, je pense un bref instant au film "Ascenseur pour l'échafaud". Je vais vers ma fin, dans un ascenseur, perdu dans Londres la pluvieuse ! La porte se referme... et s'ouvre de nouveau ; une jeune femme entre, la démarche timide, limite mal assurée. Tout en faisant montre d'une prestance certaine.
Nous voilà embarqués pour ce qui semble être notre ultime voyage. Aucun bourreau ne nous attend, mais nous allons mourir bientôt. Je me dis qu'en rentrant dans ma chambre, je vais me doucher (je n'ai pas du prendre assez la pluie, j'ai encore envie d'eau) et puis me vautrer sur le lit en regardant un film en VOD sur le superbe écran plat. Puis picoler. Je déteste ça, mais je déteste encore plus l'idée de voir notre jolie planète bleue se volatiliser en étant en pleine connaissance de mes moyens.
Je demande à la jeune femme à quel étage elle désire se rendre (c'est la fin du monde, mais j'ai décidé de me conduire en gentleman tout de même), en anglais, avec ce superbe accent qui fait rire à peu près tous les Anglais avec qui je parle, d'ordinaire. La jeune femme sourit et tend ses bras sur le côté, pour me signifier son incompréhension... Et me dit en français :
- "Désolée, je ne parle pas anglais".
Chic, mon dernier voyage, je le fais avec une française !
- "Vous êtes française ?".
Elle me répond alors qu'elle est originaire du Rwanda, réfugiée en France, et expatriée pour quelques jours à Londres. Et qu'elle ne parle quasiment pas l'anglais. Moi ça me va bien. Je lui demande cette fois-ci, en français, à quel étage elle se rend.
- "6ième étage, s'il vous plait".
- "Ça me plait bien, je m'y rends également !".
Elle sourit à ma "blague" idiote, et la porte se referme. Cette fois sans nouvelle irruption.
L'ascenseur démarre notre ascension, sans heurt, en douceur. Je vous rappelle qu'il s'agit d'un ascenseur anglais : il donne dans l'efficacité ET la souplesse.
Je regarde machinalement l'indicateur lumineux, et vois les étages défiler... 1. 2. 3. 3. 3... J'ai bien senti une petite secousse... Et une stagnation soudaine. L'ascenseur n'est pas bègue : il a calé. Le con ! C'est bien le moment. Je suis trempé, j'ai envie d'une douche chaude, et j'ai un film à regarder et une cuite à prendre avant le grand "boum". Faudrait voir à ne pas prendre de retard.
Ma compagne de voyage me demande ce qui se passe...
"C'est que je ne suis pas liftier", lui dis-je, un brin taquin.
Et elle rit de nouveau. Je me suis dit que j'ai manqué ma vocation, et que finalement j'aurais peut-être pu faire de cet humour débordant un métier.

- "Ne vous en faites pas, je prends les choses en mains !".
J'appuie sur le bouton de l'interphone et, après avoir couiné un vague "Hello, I'm affraid that the lifter is out of order", j'entends une voix très posée, me répondre dans un anglais digne d'un "announcer" de la BBC :
- "Sorry sir?".
J'embraye et lui répète de nouveau, en articulant lentement, la même phrase... Il comprend et me répond :
- "Well sir, according to the current event, I'm affraid that we can't help you: the lifter is blocked, and I think you can guess that the maintenance company won't send us someone to help. I'm very sorry for you sir".
Ah ben moi aussi je suis sorry. Bye la douche, bye le film en VOD, bye la cuite.
La jeune femme me demande ce que m'a dit le monsieur à l'autre bout de l'interphone. Je lui explique que nous sommes bloqués, et que personne ne va pouvoir intervenir. Je la sens perplexe... Peut-être pense-t-elle que je me moque d'elle, puisqu'elle ne parle pas anglais...
"Non mais je vous promets, personne ne va venir étant données les circonstances".
- "Les circonstances ?" me lance-t-elle, semblant très étonnée.
Là, un terrible doute m'envahit. Cette jeune femme très charmante ne vient pas du Rwanda. Elle vient de Vénus (car comme vous le savez, Les Hommes viennent de Mars, les Femmes de Vénus...). Et sur Vénus on ne leur a rien dit !
- "Non mais vous savez ce qui se passe en ce moment ?"
- "C'est à dire que je n'écoute que très peu les informations, c'est souvent tellement sinistre. Mais j'ai bien noté une agitation hors du commun ces dernières heures. Je me suis demandé ce qui pouvait bien se passer".
J'hésite, franchement. Ma Vénusienne me fait penser à un ange, et son regard confirme totalement ce qu'elle me dit : elle n'est absolument pas au courant de ce qui nous attend d'ici à quelques heures. Dois-je lui dire, ou dois-je me taire. Miracle de l'évolution, ou lâcheté de ma part, je choisis de ne pas lui dire la vérité. Après tout, si mes plans pour ma dernière soirée sont ruinés, et que ça me déplaît franchement, je me dis aussi que ma déception est très exacerbée par nos tristes perspectives. Pourquoi lui pourrir sa dernière soirée après tout ?
Maintenant, il va me falloir improviser pour trouver une explication à l'agitation extérieure. J'aime bien improviser, j'ai pas mal d'imagination, mais là il me faut un peu de temps. Je vais sortir une de ces phrases passe-partout qui font recette dans absolument tous les ascenseurs bloqués du monde :
- "Et sinon, que faites-vous à Londres ?"
- "Je suis venue faire un shooting photo".
- "Un quoi ?" dis-je avec un air niais qui laisserait songeur Oui-Oui...
- "Un shooting, c'est une séance photo. Je suis mannequin à Paris, et mon agent m'a trouvé un photographe très talentueux à Londres. Qui parle français, fort heureusement", me lance-t-elle en souriant.
Ah mais ça y est, tous les ingrédients sont là ; la scène est surréaliste. Me voilà, moi le type qui ne savait pas il y a deux minutes ce qu'était un shooting, enfermé dans un ascenseur londonien avec un superbe mannequin venu du Rwanda, en attendant la fin du monde, bloqué dans un ascenseur farceur, qui me tient à 3 étages de ma chambre douillette. Je ne peux pas m'empêcher de regarder la caméra de sécurité de l'ascenseur et de me demander un instant si tout cela ne fait pas partie d'une caméra cachée. J'ai soudain des sueurs froides en imaginant Marcel Béliveau sortir par une trappe et me dire "Surprise !". Mais ça va être juste pour une diffusion demain, vu qu'il n'y aura pas de demain. Donc c'est un formidable concours de circonstances. Chic alors, j'ai enfin gagné à un concours !
Je me dis que finalement, j'ai de la chance dans mon malheur. Certes je n'aurais pas ma dernière soirée comme je l'imaginais, mais je me dis que j'aurais pu être coincé dans le même ascenseur avec un businessman ennuyeux, un tueur à gages, un hooligan bourré... Je ne m'en sors pas si mal en fait.
Ces quelques instants m'ont permis de trouver une vague explication bidon à l'agitation extérieure...
- "Donc vous ignorez ce qui se passe ?" (allez, je gagne encore quelques secondes, je dois valider vite fait la cohérence de mon explication, que je sens tout de même super foireuse).
- "Franchement oui...".
- "Alors voilà [je me demande vraiment si ça va passer]... En fait [c'est super improbable tout de même]... Les studios photos anglais ont décidé d'une augmentation de 100% de leurs tarifs pour les shootings !".
Et là, elle explose de rire. Je me dis que j'ai vraiment manqué ma vocation. 100% du public qui rigole, j'aurais fait des envieux.
- "Plus sérieusement, il y a eu une annonce de mesures fiscales très impopulaires, et dans cette période de crise, cela passe très mal". Là, je vis un de ces moments terrifiants. Je me demande si ma charmante Vénusienne va accepter cette explication lamentable... Mais sur un malentendu, ça peut passer. J'enchaîne alors sur l'explication concernant le blocage de cet ascenseur facétieux :
- "Bon, il faut que je vous dise tout de même, pour l'ascenseur, le monsieur à l'autre bout de l'interphone, il m'a dit que personne n'allait pouvoir intervenir avant demain matin...".
- "Alors nous allons dormir ici, en fait ?".
J'ai bien envie d'être caustique et de lui dire que nous allons mourir ici, même, mais je me reprends, me souvenant que j'ai décidé de ne pas lui gâcher plus que ça sa dernière nuit...
- "Je crois bien... Mais nous discutons depuis un moment, et pour encore pas mal de temps. Peut-être pourrions-nous nous présenter ? Moi c'est Olivier. Et vous ?".
- "Moi c'est Camille".
- "Enchanté Camille".
- "Enchantée, Olivier. Mais dites donc, tout ce bruit là pour ça... Ça n'est pas la fin du monde tout de même".
Zut alors. Ma Vénusienne vient de prononcer une phrase que la situation rend pour le moins très ironique... Je ne sais pas si je dois exploser de rire à mon tour ou bien m'effondrer et pleurer comme un bébé... Je me dis que pour passer ce cap délicat, il faut que j'embraye en me remémorant ce magnifique guide qui j'ai toujours rêvé d'écrire : "Comment faire passer le temps dans un ascenseur bloqué". Ne le cherchez pas, il n'est pas en vente. J'ai cessé son écriture à la page 1. Mais je me dis d'un coup qu'il va falloir me reprendre et faire ce que je peux pour continuer une conversation avec ma gentille Vénusienne.
- "Vous avez raison. Parfois, nous en faisons des tonnes pour pas grand chose". [Je pense très fort à la finale gagnée de la Coupe du Monde de Football pour ne pas pleurer].
Du coup je souris, et me lance un peu plus loin dans la conversation et lui lance d'un air léger :
- "Alors Camille, expliquez-moi comment on quitte le Rwanda pour aller en France et devenir mannequin, pour aller ensuite faire un shooting dans le pays de la pluie éternelle...". [Je me sens super rigolo depuis quelques minutes, je pense que je vais faire un triomphe avec cette réplique !].
Camille me regarde avec ses grands yeux félins. Il y a un truc qui passe un bref instant dans ses yeux, et çe ne ressemble pas exactement à une lueur de joie ou à un fou rire contenu...
- "En fait j'ai quitté la Rwanda suite à la terrible guerre civile qui a endeuillé mon pays il y a quelques années. J'ai perdu toute ma famille durant cette horrible période, et ai fuis mon pays pour ma survie".
Vous connaissez les grands moments de solitude, quand vous sentez que vous venez d'être "nominé" pour les Oscars de la question la plus déplacée ? Ben voilà, je viens d'être nominé, et je suis en pôle position. Je me sens terriblement mal à l'aise, et l'espace d'un instant, je fais des incantations pour que la fin du monde, ça soit tout de suite !
Mais voilà, les grandes âmes se forgent face à l'adversité, et face à mon malaise évident, Camille trouve les mots justes :
- "Olivier, je vous sens perturbé par ce que je viens de vous dire... Vous m'avez demandé de vous en dire plus sur moi, je n'ai fait que vous répondre, mais je n'avais aucunement l'intention de vous mettre mal à l'aise. Cela fait partie de mon histoire, mais la vie continue".
J'ai du mal à trouver les mots, d'une part parce que je tiens mon Oscar du crétin du mois en mains, et d'autre part parce que c'est Camille qui trouve la première les mots pour me réconforter, moi...
- "Je suis terriblement désolé pour vous Camille. Je ne sais pas quoi vous dire... Une prochaine fois, je réfléchirai avant de parler". Tiens, je parle d'une "prochaine fois"... Pourtant il n'y en aura pas.
- "On peut rarement changer les choses, surtout celles-là. Alors on apprend à vivre avec, vous savez. Sinon c'est le désespoir".
C'est sûr que vu comme ça... Je crois que je suis passé de la couleur blanc évier, après être passé par le rouge écarlate, à ma couleur d'origine. Le miroir de l'ascenseur me le confirme.
- "Alors parlez-moi de votre métier. Et des shootings ! J'aime bien ce mot, vous avez enrichit mon vocabulaire, et maintenant je veux en savoir plus".

Sachant que nous allons rester là encore pas mal de temps [jusqu'à la fin du monde, aux dernières nouvelles en ma possession], nous décidons de nous asseoir par terre, faute de mieux.
Camille me parle de son métier, un métier qu'elle aime bien même si elle me fait comprendre qu'elle n'est pas dupe concernant certains de ses aspects.
- "C'est globalement un monde de pourris. Des marchands d'image, très souvent opportunistes, qui t'appellent "chérie" dans presque toutes leurs phrases, mais finalement te laissent tomber à la première occasion".
- "Je ne connais pas ce milieu, alors je me fie à ce que vous m'en dites. Mais c'est vrai que quand on les voit à la télé, tous ces agents, photographes et consorts, ça fleure bon le discours bien rôdé, resservi 200 fois, et pas très sincère".
Elle sourit, et comme je lui pose des questions, elle me répond gentiment. Elle aborde tout cela avec beaucoup de philosophie, et tente de ne conserver que le meilleur.
J'ai perdu la notion du temps qui s'écoule, depuis que Monsieur l'ascenseur s'est arrêté bêtement. Camille commence à bailler. Comme je suis resté dans mon délire de vocation manquée de comique, je lui lance :
- "Zut alors, mon public commence à bailler, ça n'est pas bon signe !".
Elle rit et me demande pourquoi je parle de public. Je lui explique mon curieux délire, et elle rit de plus belle.
- "Si un jour vous montez sur scène, appelez-moi, je viendrai vous voir".
Je souris, même si j'ai comme un doute pour mes futures scènes, rapport au "Big Bang - Acte II" qui nous attend.
Je baille à mon tour et réalise que nous allons sans doute nous endormir et ne pas nous réveiller. En pensant à cela, je réalise que Camille a déjà vécu une fin du monde. Que plein de personnes ici bas ont déjà vécu une fin du monde, en fait. Je me dis que cette fois-ci, et ce sera une première, nous allons tous être logés à la même enseigne. Je souris à cette idée, curieusement.
Camille s'est endormie, sa tête repose sur mon épaule. Je le regarde dormir. Elle a déjà vécu sa fin du monde, et je suis content de lui avoir épargné cette bien mauvaise nouvelle, pour la laisser dormir du sommeil du juste et profiter de nos derniers instants sans s'angoisser dans la perspective de notre sinistre fin commune.
Je m'endors à mon tour...

Un grand fracas parvient à mes oreilles. Je me réveille en sursaut. Je pensais que nous serions atomisés d'un coup, pas que nous aurions un préavis !
Bizarrement, je suis allongé dans le lit de ma chambre d'hôtel... J'ai du manquer un épisode. Un type de la maintenance serait finalement passé, nous aurait récupérés, Camille et moi, et traînés dans nos lits respectifs ? Ils sont forts ces Anglais !
Je me lève et ouvre les rideaux. Surprise, il pleut dehors... Mais il fait jour. Enfin le jour londonien hein, ce truc gris des jours de pluie, où vous avez l'impression qu'il est 18 heures, alors qu'il est 13 heures...
Ma planète semble toujours tenir debout... Je vais aller voir dans le couloir. J'enfile tout de même un pantalon, car si ça n'est pas la fin du monde, j'aimerais éviter de traumatiser le personnel de l'hôtel et les autres visiteurs. Nous sommes en Angleterre, on voit presque de tout... Mais tout de même, un "frog eater" en caleçon à fleurs, ça pourrait leur faire peur et je pourrais me retrouver au poste de police du quartier...
Ben c'est que ça vit dans les couloirs. En fin détective (ça doit être à cause de la proximité de Scotland Yard), je découvre l'origine de la terrible "explosion" : une dame qui fait le ménage ramasse des morceaux de porcelaine sur le carrelage du couloir. Son chariot est renversé.

Je rentre dans la chambre, allume la télévision et vois des "news" somme toute fort banales... Pas de fin du monde ? On m'aurait menti ?
Là encore, toujours dopé par ce nouvel instinct de détective, je découvre des indices troublants : plusieurs cadavres de bouteilles par terre, le minibar ouvert et vide... Ah puis j'ai un terrible mal de crâne, tiens. Je pose l'équation vite fait : "Déracinement + alcool + mégots étranges dans le cendrier = la tête a bobo" J'ai du faire un bad trip !
Bon, j'ai eu ma cuite (je ne comprends pas trop pourquoi, mais enfin je l'ai eue). Maintenant ma douche chaude, en espérant qu'elle aide mes neurones rescapés à se remettre en ordre.
Mais c'est que ça va beaucoup mieux maintenant ! Je vais descendre et me faire un breakfast ; après tout je suis en Angleterre, j'ai bien le droit de tremper du pain et du bacon dans mon chocolat chaud !
Je me sèche, je glandouille encore 10 minutes devant la télé. Je comprends toujours aussi mal les Anglais quand ils parlent... Je m'habille et sors de la chambre, direction l'ascenseur. En espérant qu'il ne tombe pas en panne, parce que j'ai vraiment les crocs !
Me voilà face à l'ascenseur. Je l'appelle. Il daigne répondre, et m'ouvre gentiment ses portes. Qui se referment... Et s'ouvrent de nouveau. Si si, vous avez deviné. C'est Camille qui rentre.
Je la regarde, totalement éberlué. Elle rit en voyant ma tête, mais ne dit rien. Je parviens à marmonner :
- "Bonjour Camille, bien dormi ?".
Ah, il y a une justice ! Maintenant, c'est elle qui est surprise :
- "Nous nous connaissons ?", me lance-t-elle interloquée.
- "Possible que oui, possible que non. Alors, prête pour la séance de shooting ?" (oui, je fais le malin maintenant que je sais ce que c'est).
Camille semble toujours aussi surprise et me demande :
- "Mais comment savez-vous comment je m'appelle, et que je vais faire un shooting ce matin ?".
Les portes de l'ascenseur se referment, et nous commençons à descendre.
- "C'est une longue histoire, mais je crois bien que cette fois-ci, nous avons du temps. La fin du monde peut bien attendre".
Camille sourit de nouveau, mais je crois qu'elle me prend pour un Martien. Chacun son tour, tiens.

Nous avons pris le petit-déjeuner ensemble et parlé longuement. Nous avons rit, beaucoup. Un vrai moment de partage. Ce qui est somme toute assez légitime : nous avons presque vécu une fin du monde ensemble dans la nuit. Enfin surtout moi, durant mon bad trip.
Camille est partie faire son shooting, et nos vies respectives ont repris leur cours.
Je crois qu'elle se demande encore parfois comment j'ai pu connaître son prénom et savoir qu'elle allait à un shooting... Nous avons tous nos secrets !

J'ai retenu de cette nuit là et de la journée qui l'a suivie plusieurs choses.
La première, c'est que je picolerai plus jamais. Et que je n'accepterai plus de cigarettes de la part d'inconnus quand je vais dans un bar diffusant du reggae.
La seconde, c'est que la vie est pleine de surprises.
La troisième, et sans doute la plus importante, c'est que de nombreuses "fins du monde" surviennent pour des humains, chaque jour, que ce soit par la perte d'êtres chers, la perte de leurs illusions... Et que certains ont la force de continuer, et de briser ainsi cette idée de "fin du monde", pour la transmuter en "fin d'un monde", et "début d'un autre".
Si vous croisez un jour Camille, dites-lui qu'elle m'a appris cela. Et aussi ce que "shooting" veut dire. Et que la force de vivre, ou survivre, est en chacun de nous.
Mais que c'est plus difficile pour certains. Et d'autant plus admirable.

Amitiés,

Hanni / Olivier flower
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Message  De Sombrelame Dim 6 Jan - 23:08

moi c'est mon bide qui a failli exploser, je me suis dis que sa serais con de pas finir ce qu'il y avait dans le placard ou cas ou...

De Sombrelame

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Message  Nigel Loring Dim 13 Jan - 3:42

C'est tellement vrai, cette histoire de fin du monde pour certaines personnes ...

Ma mère bosse pas mal pour Réseau Éducation Sans Frontières, une asso qui aide les sans-papiers. Dans la petite ville à la campagne de 10000 habitants où habitent mes parents, on croirait pas mais il y a pas mal de gens en difficulté. Il y a notamment un jeune rwandais.
Il était petit quand y a eu la guerre dans son pays. Toute sa famille a été tuée, il a été rapatrié en France par une ONG pour échapper au massacre. Il a grandi dans le coin. Il est devenu majeur pendant qu'il était en terminale. Il a fait une demande de régularisation de ses papiers à la préfecture, ils lui ont refusé et lui ont envoyé direct une Obligation de Quitter le Territoire Français. Mange-toi ça dans les dents.
Le gosse, ça fait des années qu'il est en France, il a pas de famille, pas plus ici qu'au Rwanda, il connait rien ni personne là-bas alors qu'ici au moins oui. Et puis faut voir comment ils gardent de bons souvenirs des français aussi là-bas (genre, ils vont l'accueillir à bras ouverts quand ils sauront qu'il débarque de France).
Putain, le type a passé son bac en clandestin, il avait peur que les flics viennent le cueillir à l'affichage des résultats alors qu'il a jamais rien fait de mal de sa vie.

C'était pas un guignol ou un caillera en plus. Son dossier a été retenu à Fermat, la plus prestigieuse prépa de Toulouse.
Motif du refus des papiers par la préfecture : il n'était pas capable de se financer ses études. Et qu'est-ce qu'il faut pour pouvoir travailler de façon légale, bande de nazes ? Des papiers en règle !!

...

Je sais bien que l'immigration est un problème complexe, qu'on peut pas accueillir toute la misère du monde et tout, mais les gens d'ici se rendent pas compte à quel point on a de la chance. Même perdus dans la plus profonde campagne de France et de Navarre y a des rescapés d'horreurs que j'ose même pas imaginer, et eux ils demandent simplement à continuer à vivre. Et l'histoire du rwandais c'est juste une parmi d'autres, toutes plus sordides que les précédentes.

Désolée, c'était mon coup de gueule de la soirée.

(euh je précise que c'est un coup de gueule contre ce système d'expulsions des sans-papiers hein, personne ici n'est visé. C'est juste l'image d'hanni rapport à l'apocalypse perso du mannequin qui m'y a fait penser ...)

Nigel Loring

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Message  HannibalaTor Dim 13 Jan - 12:25

Hello Nigel, et salut les p'tits loups,

J'ai lu avec attention ton "coup de gueule", et ai été ému par cette histoire, qui n'est malheureusement pas un cas isolé. Cela n'enlève rien au drame individuel du jeune homme dont tu parles ; bien au contraire.

Tu dis avec justesse "Je sais bien que l'immigration est un problème complexe, qu'on peut pas accueillir toute la misère du monde et tout, mais les gens d'ici se rendent pas compte à quel point on a de la chance."
Cela est bien vrai.

Je trouve normal et nécessaire que des lois soient mises en place afin de réguler les flux entrants de personnes.
Là où le système est vicieux, c'est dans l'application des lois. Cela est vrai pour toute loi.
Un texte de loi, quoi qu'on en dise, est là pour régir des généralités. Poser des balises. Leur application est laissée aux mains d'humains (quoi que parfois, je me demande si ce terme sied à certains). Les préfets (en général ce sont eux qui prennent ce type de décision, dans le cas des attributions ou non de "papiers", en tout cas ils ont le dernier mot - j'ai un exemple personnel à l'appui) ont un arbitrage à effectuer entre "respect de la loi" et "respect de l'humain". Dans le cas que tu cites, renvoyer ce jeune homme au Rwanda, c'est le renvoyer vers la mort, ou une vie très difficile.
Il s'agit d'une décision inhumaine ; je ne doute pas une seconde que la personne qui a pris la décision de le renvoyer rassure sa conscience en se disant qu'elle n'a fait que respecter la loi. Ce qui est d'ailleurs vrai et faux, car si les personnes en "situation irrégulière" doivent parfois être expulsées, et ça c'est la "loi", nous avons aussi un devoir et une histoire d'accueil des réfugiés.

Dans les années 1940 - 1945, de nombreux préfets et policiers se sont trouvés confrontés à ce type de décision, et à devoir trancher entre "respect de la loi" (elles étaient assez sévères en cette période...) et respecter les humains. Les deux étaient très souvent antinomiques, en cette période.
Certains d'entre eux ont raflé des hommes, des femmes et des enfants "pour respecter la loi légitime imposée et/ou dictée par l'occupant". D'autres ont eu le courage et l'humanité de fermer les yeux afin de laisser filer un homme, une femme, un enfant. Certes, il s'agit d'une illustration extrême de ton propos, mais finalement nous restons dans le même thème : le choix.

Je me permets d'ajouter, de manière un peu plus personnelle, deux anecdotes liées à cette période de l'histoire. Je les ai lues dans les mémoires de mon père.
Mon grand père paternel, ma grand-mère maternelle, mon père, son frère et sa soeur ont vécu l'occupation ; ils habitaient à l'époque à Epinay-Sur-Seine, dans le 93.
Mon grand-père paternel avait fait la première guerre mondiale, été fait prisonnier 4 fois, et s'était évadé autant de fois. Je précise cela afin de dire qu'il n'était pas sensible à l'hospitalité allemande.
En 1939, au moment de la mobilisation, il avait 62 ans ; il était trop âgé pour être mobilisé. Mon père avait quant à lui 14 ans.
Suite à la mise en place du STO, et des réquisitions d'entreprises consécutivement à l'occupation, mon grand-père a refusé de travailler pour les allemands, lorsque cela lui a été demandé en 1943. Il était entrepreneur en menuiserie & charpente. Avec quelques compagnons "salariés". Suite à ce refus, l'un de ses fils, mon oncle Marcel, ainsi que la quasi totalité des ouvriers de mon grand-père, ont été envoyés en Allemagne, où ils ont séjourné 2 ans dans un camp de travail.
Je ne précise pas tout cela afin de vous tirer des larmes. De nombreuses familles ont vécu ce type de drame. Mais cela permet de rappeler une nouvelle fois que mon grand-père ne faisait pas partie du fan club de l'occupant.
J'en viens donc là où intervient le choix humain, au milieu des lois et contraintes, avec deux anecdotes qui ont pris place durant la débâcle allemande de 1945. Car si il y a bien eu une débâcle de l'armée française en 1939 (cela, je le dis sans jugement, je n'aurais pas fait mieux, c'est une de mes rares convictions), il y a eu l'épisode retour en 1945, dans l'autre sens.
Des allemands se faisaient canarder non loin de la maison de mes grands-parents. Mon grand-père avait gardé son vieux fusil "Lebel" dans sa cantine militaire. Il l'a pris, est monté sur son toit avec mon père, et a mis en joue un soldat Allemand, le doigt sur la gâchette. Un shoot garanti.
Puis il a reposé son fusil et a dit à mon père "Non, pas comme ça, je ne peux pas le tuer comme ça en lui tirant dans le dos".
Assez proche de cette anecdote, ma grand-mère, qui avait été infirmière-secouriste pour la Croix-Rouge, a soigné un allemand blessé. Tout simplement parce qu'elle avait face à elle un homme blessé.
Mon grand-père a passé 5 ans à faire des émissions radio clandestines. Il n'avait qu'une hâte : voir ces indésirables occupants se barrer, et le plus vite possible. Il a probablement contribué à la diffusion d'information visant à commettre des "attentats terroristes" contre l'occupant. Il a tiré sur des allemands en 1914.
Mais voilà, face à certaines décisions qu'il a jugées inhumaines, il est allé contre son "conditionnement", son histoire et certains de ses principes, pour mettre en avant le principe de dignité humaine.

Désolé pour cette longue digression, mais d'une part j'avais besoin de rendre hommage à cet homme juste qu'était mon grand-père, ainsi qu'à ma dure mais charitable (je sais, ce terme semble très désuet) grand-mère, et également dire qu'il faut parfois du courage, et surtout de l'humanité, pour agir contre "la loi" ou contre nos "pulsions".
Je ne suis nullement certain d'être capable d'avoir ce type de courage, mais voilà, au moins je crois savoir le reconnaître.

Et pour te dire, aussi, Nigel, que je comprends ta peine et ton indignation. Une décision humaine, loin des médias, aurait - j'en suis persuadé - permis à ce jeune homme dont tu parles de vivre une vie qu'il mérite de vivre, ici, chez lui, en France. Parce que par la force des choses, la France était devenue son chez lui, autant que mon "chez moi".
Certains réseaux d'immigration sont des réseaux mafieux, qu'il est impératif de démanteler, aussi bien pour des raisons de sécurité que des raisons humanitaires. Là, nous sommes bien éloignés de ce cas de figure, et un coup de tampon sur un formulaire, suite à une décision humaine, pouvait changer la vie d'un jeune homme.

Amitiés,

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Message  Nigel Loring Mar 15 Jan - 22:56

Jolies histoires que celles de tes aïeux.

Le problème ici c'est qu'ils sont même pas foutus de respecter les lois qui sont trop en faveur des sans-papiers. Dans quelques jours un sans papier turc dont s'occupe un peu ma mère retourne au tribunal administratif de Toulouse, son avocat a déposé plainte pour abus de pouvoir contre la préfecture : il avait reçu une OQTF que le tribunal de Bordeaux avait déclaré non valide. Le tribunal avait demandé en outre à la préfecture de Haute-Garonne de délivrer les papiers au turc. Quand il s'est présenté à la préfecture pour prendre son récépissé, il lui ont délivré une autre OQTF ...
Et des exemples de ce type il y en a à la pelle ... des flics qui vont chercher des gosses à l'école primaire pour les embarquer, une préfecture qui fait croire à un sans-papiers que ses papiers l'attendent à la préfecture pour l'embarquer, des flics qui gardent des mères en garde-à-vue alors que le bébé reste plus d'une journée seul à la maison, des sans-papiers qui sont expulsés par avion le jour même de leur convocation au tribunal pour que leur cas soit traité, ...

Tout ça pour remplir les quotas fixés par Sarkozy ... (et c'est pas beaucoup mieux sous Hollande).

Nigel Loring

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